Par Nejiba Belkadi
En matière de gestion de la relation client, le multicanal n'a rien de révolutionnaire : les offreurs de biens et de services ont, depuis qu'ils existent, toujours manifesté le besoin de savoir par quels moyens l'écoulement de leurs marchandises et services pouvait être effectué de manière optimale, durable et profitable et ce, par tous les moyens à leur disposition. Ce sont en revanche l'éclosion puis la prolifération de canaux dématérialisés permettant aux entreprises d'avoir fenêtre ouverte sur les caractéristiques comportementales et socioculturelles de leurs clients et prospects, qui sont en train de profondément changer la donne : le CRM (Customer Relationship Management) est donc le terme qui est apparu afin de décrire les activités qui permettent un usage optimal des données, toujours en évolution, à la disposition des entreprises.
Dans ces conditions, le marché des CRM affiche des hausses toujours plus fortes, + 7 % en Europe entre 2012 et 2013 selon Gartner (il avoisinait 3 milliards de dollars en 2013). A des fins de fidélisation, de perfectionnement du marketing digital et de la force de vente, mais aussi, et peut-être surtout, de réalisation des conditions permettant de donner au client une expérience multicanal idéale. Pour l'entreprise ou la marque, il n'est d'ailleurs pas aisé de trancher entre une stratégie de ciblage des données orientée vers l'usage d'un canal en particulier, et une approche plutôt transversale, intégrant une pluralité de canaux de communication. La disparité et l'abondance des données peuvent en effet être un facteur d'encombrement, tout autant qu'une inédite opportunité pour les DSI (directeurs des systèmes d'information).
D'autant que, toujours selon Gartner, le marché du CRM s'enrichit principalement grâce à des leviers tels que le cloud, le big data (et toute la logique d'analyse et de prévision qui l'entoure), les possibilités de mesure de la fidélité, rendue possible par la démocratisation des réseaux sociaux, et enfin les applications disponibles sur les appareils mobiles.
Fidélisation par l'écoute, le postulat de base
Le CRM constitue avant tout un moyen de rétention de la clientèle, par l'usage qu'il permet des nouvelles données disponibles. Pour Frédéric Buron, directeur général de EmailStrategie, société spécialisée dans les solutions de marketing digital, la fidélisation est devenue une expérience à part entière, une tendance qu'il convient de suivre et d'actualiser. Nous devons, pour cela, tirer profit de la révolution digitale actuelle. À ce titre, l'entreprise digitale 3.0 doit être numérique mais avant tout sociale et collaborative." Pour cette raison, "il faut savoir saisir les nouvelles opportunités liées à l'usage généralisé des smartphones et tablettes, pour satisfaire toujours plus nos clients, et cela suppose de profondes mutations", explique-t-il.
Opérer un investissement dans les technologies permettant de faire un usage créatif - et créateur de richesses - dans le domaine de l'exploitation des données client, s'avère donc nécessaire pour entretenir l'intérêt des prospects. Commentant les résultats conjoints de deux études élaborées par l'agence Idaos et l'Atelier réseaux sociaux du SNCD (Syndicat national de la communication directe), Anne-Cécile Guillemot, cofondatrice de Dynvibe, groupe d'experts en social media intelligence, explique que "80 % des socionautes français souhaitent pouvoir donner leurs avis sur les nouveaux moyens de communication s'interposant entre eux et la marque". Pour elle, les socionautes voudraient pouvoir "bénéficier d'un service client plus actif. Une grande majorité d'entre eux (69 %) estiment que leurs messages ne sont pas écoutés par les marques. Une situation risquée pour l'entreprise, puisque 90 % des consommateurs se disent prêts à abandonner une marque dès lors qu'ils se considèrent déçus par la qualité de son service client".
Certains experts vont plus loin en estimant que l'investissement des nouveaux canaux de transmission de l'information doit constituer pour les marques le moyen ultime de différenciation, face à la volatilité des internautes. Ces derniers imposent désormais des préférences pointues et adoptent une attitude d'exigence aux vues de l'immense disparité des propositions qui leur sont faites et des multiples appels à la consommation qu'ils rencontrent en naviguant sur le Web. Pour Vincent Bernard, codirecteur général de Webhelp, spécialiste de la gestion externalisée en relation client et de mise à disposition de centres d'appel, les marques doivent s'assurer que l'attachement des clients est concrétisé par le biais de 4 principaux axes stratégiques : l'écoute, le discours, les canaux et l'adaptation.
Pour lui, il est nécessaire d'écouter "les suggestions spontanées des internautes en lien avec la marque" et de mettre en place "une boucle d'amélioration continue grâce à un plan d'action concret destiné à corriger les incohérences de l'expérience client". Ensuite, pour répondre aux suggestions de manière méthodique, il convient selon Vincent Bernard de ficeler un discours adéquat en "structurant les contacts clients par sociostyle, via une catégorisation de la base client en fonction du comportement, de l'âge, de la catégorie socioprofessionnelle", etc. Par ailleurs, ce n'est pas tant le choix du canal de communication qui importe, mais bien plutôt la cohérence dans l'utilisation des différents axes de contact.
Vincent Bernard estime que la marque doit se rendre "disponible de la même manière, peu importe le canal. Particulièrement en faisant en sorte de prolonger l'expérience en magasin à travers le téléphone, mais aussi le digital : site Internet, chat, engagement sur les médias sociaux, community management, etc.". Ce point de vue est partagé par Gary Anssens, CEO et fondateur d'Alltricks.fr, qui considère que "le big data est nourri aujourd'hui par la diversité des supports qui permettent de recueillir de la donnée variée. L'interaction avec le client doit être transversale et cross canal". Il convient enfin d'adapter la stratégie de communication aux codes requis par les différents canaux de contact, en s'appuyant notamment sur la typologie des consommateurs concernés.
Le big data n'est rien sans smart data
La fidélisation ne se gagner uniquement par l'usage, si méthodique soit-il, des canaux de communication. Au préalable, c'est à l'identification et au tri ciblés des informations que l'entreprise devra faire appel pour mettre en place un processus de gestion de la relation client qui influera sur l'expérience du consommateur. Comme le rappelle Gary Anssens d'Alltricks.fr, "les entreprises doivent utiliser le big data pour avoir une connaissance parfaite de leurs clients et leurs attentes". L'entreprise doit s'appuyer sur plusieurs indicateurs pour parfaire l'expérience vécue par le client.
Une étape importante pour "améliorer un ou plusieurs indicateurs d'expérience client et de performance économique, qui consiste à surveiller la satisfaction client, le NPS [Net Promoter Score, un indicateur permettant de mesurer le degré de satisfaction et de fidélité des clients, ndlr], le taux de conversion sur la base de clients ou prospects, ou encore la question de la résolution de la demande au premier contact, la durée de traitement", déclare Vincent Bernard de Webhelp. Un exercice d'une grande utilité, tout en étant désormais à la portée de tous grâce à la prolifération des moyens technologiques de gestion des données. "Une fois le cas métier identifié, comme par exemple le montant des remboursements ou des gestes commerciaux à accorder selon les types de réclamation et les clients, l'analyse puis l'exploitation des données constitue un formidable levier, de plus en plus accessible grâce au progrès technologique du big data et du machine learning", assure Vincent Bernard. Et d'ajouter : "les infrastructures actuelles permettent de traiter un niveau de données en quantités industrielles à des degrés de précision colossaux", grâce notamment aux "nouveaux algorithmes statistiques et [aux] langages et outils de programmation permettant de travailler en temps réel".
Il convient donc avant toute chose de tirer profit de l'abondance d'informations, puisque "l'élément clé en marketing n'est pas tant le big data que le smart data et l'intelligence que l'on en tire pour plus de productivité et d'efficacité marketing", fait observer Thomas Cochin, directeur marketing de la division Microsoft Business Solutions pour Microsoft France.
Centres d'appel et analyse de voix, tout est dans le ton
À ce titre, l'usage des centres d'appel a l'avantage d'englober des caractéristiques spécifiques pouvant rendre l'analyse de l'information intéressante et prolifique pour l'entreprise. Pour Vincent Bernard, "la voix peut littéralement être analysée grâce à des outils d'analyse vocale. Ces analyses peuvent alerter en temps réel les conseillers et superviseurs en cas de problème, grâce au ton, au rythme de la conversation et aux mots utilisés, notamment lorsqu'un concurrent est cité, par exemple". Pour lui, l'enregistrement des appels peut faire l'objet d'une véritable boîte à outils permettant de déceler les points faibles de la marque au travers de la description de l'expérience faite par le client. "Il n'y a rien de mieux que d'écouter un client décrire une frustration relative à une rupture de stock ou à une livraison non parvenue de son produit préféré, pour faire changer les processus et systèmes logistiques des entreprises", assure-t-il.
Chez Interactive Intelligence, on considère l'appel téléphonique comme étant l'une des sources les plus fiables et les plus transparentes en mesure de donner à l'entreprise une information utile sur la satisfaction de sa clientèle. "Les appels téléphoniques, toujours plus nombreux, demeurent un point focal de la relation client, explique Olivier Silberstein, directeur général d'Interactive Intelligence France. Environ 60 % des clients de nos clients, utilisateurs de solutions interactives, interagissent par le biais de ce média. L'usage des données, dans cette optique, se déploie lors de la rencontre en temps réel entre l'agent représentant de l'entreprise et le client ou le prospect. Il s'agit en effet pour l'entreprise d'être capable de repérer l'identité du client, de savoir ce qu'il a pu être amené à acheter avant de donner une réponse adéquate à sa demande."
Problème : il n'est pas évident que le CRM (front-office), qui bénéficie souvent d'un support informatique performant, et le back-office, plus rarement doté d'outils de pointe, soient coordonnés pour assurer au client une prise en charge rapide de ses problèmes. Mais des solutions existent : "la gestion des processus métier de bout en bout de l'entreprise permettrait au client, lorsqu'il a une réclamation, de savoir où en est le processus de suivi de sa requête. Il est pourtant rare, même aujourd'hui, qu'une entreprise dispose d'une vision globale de ses processus métier qui rendrait possible pour le consommateur un accès en temps réel au suivi de sa demande. C'est pourquoi l'on propose un accompagnement du centre de contact vers tout le reste de l'entreprise, afin de gérer et d'optimiser les processus métier, puis de les automatiser pour contrôler en temps réel où en sont ces processus", explique Olivier Silberstein.
D'autres outils spécifiques sont apportés par les experts afin de mieux retrouver les indicateurs qui permettront aux entreprises de formuler les réponses dont le client a besoin. Ces outils, tels que le data mining, le data analyse, ou encore le marketing automation "vont donner de la valeur aux datas et permettront de sélectionner les plus pertinentes et les plus utiles à la segmentation", souligne Frédéric Buron d'EmailStrategie. Le data mining a en effet pour fonction "d'enrichir les données présentes dans la base de données afin de mieux connaître le client", le data analyse permet quant à lui "d'analyser l'évolution des comportements observés", alors que le marketing automation jouera le rôle de l'automatisation des actions "en fonction des différents comportements observés ou des critères de la base de données".
Communication collaborative, le client toujours roi
En faisant de l'expérience client une priorité, il convient pour l'entreprise de savoir démultiplier sa présence sur tous les canaux nécessaires au maintien de son image et de l'intérêt du consommateur. Autrement dit, d'offrir une expérience utile sur tous les supports, tout en faisant en sorte que celle-ci soit différenciée selon le canal. L'un des enjeux que l'entreprise doit prendre en considération est le fait de "rendre naturel le switch entre les différents canaux", explique Vincent Bernard de Webhelp. Cette démarche suppose, selon lui, une "intégration du CRM, même dans une démarche digitale, une transversalité des départements digitaux et Relation client afin d'intégrer le positionnement marketing, le discours de communication, les intérêts opérationnels ou encore les décisions corporate".
D'autre part, il semble acquis que les entreprises doivent désormais laisser toute latitude aux consommateurs de prendre en charge des pans entiers de la communication dont elles se réservaient l'usage exclusif avant l'avènement des médias sociaux. En effet, Vincent Bernard souligne la nécessité de "faire de la marque le centre névralgique des échanges de la communauté", mais tout "en laissant les initiatives des ambassadeurs structurer la dynamique". S'il faut qu'elle soit présente auprès de la communauté et à son service, l'entreprise ne peut désormais le faire qu'en tant que support expert, et non dirigeant.
L'apparition de nouveaux concepts tels que le social relationship management ou le collaborative relationship management n'est pas anodine. Ces concepts, qui désignent le fait pour une entreprise de prendre pour matière première les commentaires laissés par les clients et les interactions qui se produisent sur différentes plateformes telles que les centres d'appel, témoignent de la mutation à l'oeuvre dans la place qu'occupe le client. Ils témoignent de l'émergence d'une philosophie managériale tout à fait inédite et davantage tournée vers la collaboration avec le client que vers le schéma traditionnel mettant l'entreprise dans une position hégémonique par rapport à celle du consommateur.
Olivier Silberstein, directeur général d'Interactive Intelligence France, souligne ainsi la nécessité pour les entreprises de tirer profit de la fin de l'ère où la communication s'opérait en one to one : "aujourd'hui les médias sociaux ont pris le relais, les clients et les groupes d'utilisateurs ont de plus en plus tendance à prendre le pas, pour au moins 50 %, sur la communication de l'entreprise. Celles qui interagissaient par les médias traditionnels et unitaires que sont le téléphone, les e-mails, le courrier ou le chat, voient se déporter la logique du dialogue sur un tout un groupe d'utilisateurs, voire tout un groupe de médias. La communication a tendance à passer de l'entreprise vers les utilisateurs".
Le CRM du futur, temps réel et prédictivité
Le CRM, consistant à exploiter le mieux possible les données à disposition, est appelé à l'avenir à s'affiner davantage. En effet, l'optimisation de l'exploitation de l'ensemble des canaux devra se traduire par une "digitalisation de plus en plus forte", selon Vincent Bernard de Webhelp. De la même manière, "la digitalisation de l'expérience client doit également donner lieu à un travail sur l'optimisation des recherches Google et des pages affichées pour des recherches de services client ou d'acquisitions", explique-t-il.
Le recours à de nouvelles technologies innovantes permettrait en outre "de faciliter la vie des conseillers en back ou front office" car il constitue un moyen idéal pour les guider au mieux dans la résolution de la demande qui leur est adressée par les consommateurs. Concrètement, il s'agit de se doter de bases de connaissances intelligentes, d'outils de diagnostic en analyse sémantique, de moyens à même de générer des propositions d'offres à présenter au client, selon un algorithme en temps réel ou encore de solutions big data pour générer des réponses types.
Les procédures du CRM du futur devront également intégrer un fort pouvoir de prédictivité, sans lequel la gestion de l'information restera cantonnée à des flux infinis de données dormantes. Les fonctions prédictives soutenues par des méthodes statistiques avancées ont commencé récemment à faire leur apparition sur le marché du CRM et semblent donc dessiner un avenir porteur d'innovations.
Mais au-delà de toutes les transformations intrinsèques au fonctionnement des outils, c'est la structure même de l'entreprise qui semble devoir épouser les nouvelles formes de management de l'ère post-moderne. Pour Thomas Cochin, directeur marketing de la division Microsoft Business Solutions de Microsoft France, les entreprises vont en effet devoir "revoir leur organisation et s'affranchir des divisions, des hiérarchies pour une structure horizontale", notamment via "la mise en place d'outils de communication instantanée ou de réseaux sociaux d'entreprise tels que Lync ou Yammer". Proposés par Microsoft, ces réseaux permettraient de mettre en place un accès direct à l'information recherchée. Ainsi, par exemple "le vendeur en magasin qui pourrait y gagner en réactivité et en pertinence, se positionnant comme un réel conseiller au service du consommateur".
Chiffres clés
Les solutions SaaS et Cloud devraient représenter 49 % du marché des CRM en 2014.
Les projets CRM trouvant un support sur le SaaS et le Cloud se trouvent également sur une trajectoire haussière. Ils représentent actuellement 40 % de l'ensemble des déploiements CRM mais en atteindraient la moitié d'ici à 2015. (Source : Gartner