Par Pierre-Jean Leca
N'en déplaise aux funestes prédictions, la révolution digitale n'a pas scellé le sort du papier. Ces dernières années, nombre d'experts de la communication prédisaient pourtant la disparition du papier, jugé old school" et peu écologique, au profit des sites Internet, des mails et autres applications sur smartphone ou tablette. En quelques clics, le client devait découvrir le message publicitaire pour un coût moindre.
En 2014, le constat est tout autre. Malgré le développement de la communication numérique (mails notamment), les communicants n'ont pas jeté le papier aux oubliettes. Les entreprises investissent encore dans le papier qui a rapporté plus de 12,5 milliards d'euros en 2013, selon France Pub. Parmi eux, les mailings papiers ont encore réuni 3,7 milliards d'euros, et les imprimés sans adresses, 2,9 millions d'euros. À titre de comparaison, les dépenses Internet se sont élevées à - seulement - 1,8 milliard.
Comment expliquer la résistance du papier ? En premier lieu, c'est un média choisi. "Aujourd'hui, consulter un mailing ou un prospectus dans sa boîte aux lettres résulte en effet toujours d'un acte volontaire", souligne Alain Drillet, directeur général adjoint marketing et commerce chez Mediapost. Depuis de nombreuses années, les différents syndicats professionnels (SNCD, Fevad, SDD,...) ont oeuvré pour simplifier les processus d'exclusion et fédérer un comportement vertueux de la part de tous les professionnels intervenant sur l'ensemble de la chaîne graphique (liste Robinson, respect des Stop Pub). Par ailleurs, ce choix délibéré n'est pas seulement le fait des "aficionados" du mailing : les digital influencers (les internautes les plus férus de digital) eux-mêmes manifestent une appréciation plus forte pour les catalogues et brochures (77 %) que pour les e-mails (41 %), les bannières (35 %) ou les SMS (31 %), montre une étude TNS Sofres/Mediapost. A contrario, les trésors d'ingéniosité sans cesse déployés par les FAI pour contrer les spammeurs, et l'incessante routine du "clic corbeille" sur le mail "non désiré" prouvent chaque jour, le peu de cas - et d'efficacité - des différentes chartes de "bonne conduite" en matière de prospection digitale.
Autre atout du papier : sa puissance : "99 % des Français possèdent une boîte aux lettres, et 90 % d'entre eux la consulte tous les jours", souligne Simone Sampieri, directrice marketing grands comptes entreprises courrier de La Poste "Ainsi, celui qui dispose d'une adresse physique se trouve, par nature, dans une situation de consommation courante propre à intéresser la plupart des annonceurs", précise-t-elle. Le courrier publicitaire demeure ainsi le seul média qui garantisse à chacun de ces annonceurs une audience sans équivalent : sur une journée moyenne, 22,5 % des Français sont lecteurs d'au moins un imprimé publicitaire et, au bout d'une semaine, ce taux atteint 76,9 %, révèle l'institut Balmétrie.
"Le rapport coût/puissance de l'imprimé publicitaire est à nul autre pareil et permet efficacement de créer du trafic sur ces milliers de points de vente, avec intelligence et modération. Tant que ce rapport coût/puissance n'aura pas trouvé d'alternative crédible, le média papier - mailing et imprimé publicitaire - résistera et permettra encore de satisfaire aux attentes du consommateur, pour le plus grand bonheur de l'annonceur", affirme Simone Sampieri.
Papier, objet haut de gamme
Le papier reste, de surcroît, le support privilégié lorsqu'il s'agit de marquer un événement. Comme tous les produits qui demandent un fort degré d'implication, les marques haut de gamme se paient souvent le luxe de recourir régulièrement au courrier adressé pour communiquer avec leurs clients fidèles. En effet, contrairement à d'autres secteurs qui exploitent le courrier adressé de manière promotionnelle, les marques haut de gamme utilisent ce média pour construire une relation privilégiée avec les clients. Cela passe notamment par un contenu éditorial riche, un papier de création haut de gamme et de beaux visuels.
"Les marques haut de gamme utilisent ce média pour construire une relation privilégiée avec les clients, via un contenu éditorial riche, un papier de création haut de gamme et de beaux visuels"
"Le choix du support doit être spécifique. L'utilisation de papiers de création originaux entraîne une meilleure considération du mailing de la part des clients", souligne Mathieu Galloux, associé chez Addiction Agency. À l'image du leader mondial Arjowiggins, les imprimeurs l'ont bien compris en développant ces dernières années leur activité papiers de création. "De par leur richesse en termes de couleurs, de textures, de finitions et de grammages, les papiers fins stimulent l'imagination des créatifs et ne laissent pas indifférents ceux qui ont le plaisir d'en être le destinataire", estime Mathieu Galloux. Dans le cadre de leur programme Very Dior, les parfums Christian Dior ont fait le choix d'exploiter le papier de création le plus souvent possible. Lors du lancement de ce programme CRM, la marque a créé un Welcome Pack, comprenant un livret panoramique invitant les clientes à visiter la Maison Dior à travers le monde, ainsi qu'une carte de fidélité. En outre, les clientes pouvaient y découvrir des informations réservées aux membres de Very Dior, comme le descriptif des avantages du programme.
Comme l'explique Mathieu Galloux, le papier continue d'attirer les annonceurs "car il a une valeur d'objet qui peut offrir une dimension événementielle". Il est d'ailleurs au centre de toute la stratégie d'une marque comme Nespresso, par exemple, qui continue d'envoyer des mailings papier aux membres de son club, car ils apportent une dimension personnelle et événementielle très importante dans le cadre du lancement d'une nouvelle capsule ou d'une nouvelle cafetière. "Les marques haut de gamme exploitent donc le courrier adressé principalement dans une optique relationnelle et autour de trois temps forts : les lancements produits, les moments de vie des clients (anniversaire) et les événements commerciaux, tels que la Saint Valentin ou la fête des Mères", constate Mathieu Galloux,
Bonne impression, éco-reponsable et créative
Pour résister à la pression du digital et séduire les annonceurs, les imprimeurs ont, de leur côté, massivement investi ces dernières années dans les technologies d'impression numérique. Désormais, celle-ci offre une qualité approchant celle de l'offset et de la sérigraphie, avec en plus l'avantage économique des petites et moyennes séries. De nombreuses et techniques récentes permettent en outre de valoriser l'imprimé : les vernis sélectif et relief donnent de la texture à la feuille, l'encre blanche et les tons directs permettent de créer un contraste important ou une teinte exacte. L'impression numérique offre aussi la possibilité d'intégrer des données variables, et ainsi de personnaliser l'imprimé et de cibler de manière précise son public. "En intégrant le papier dans une campagne cross-média alliant imprimé et digital, une entreprise peut améliorer significativement son taux de réponse", assure Didier Farge, fondateur de Conexance, une société de marketing direct spécialisée en bases de données mutualisées. En parallèle, une offre papier éclectique adaptée en termes de format, de robustesse et de teneur en humidité a vu le jour et ne cesse de s'agrandir.
D'un point de vue écologique aussi, le papier a fait sa révolution. Contrairement aux idées reçues, l'empreinte carbone d'un courriel est 15 fois plus importante que celle générée par un courrier en papier, compte tenu du cycle de vie des équipements électroniques, selon une étude du groupe papetier français Pochenco. Par ailleurs, grâce à une remise en question et une modernisation de fond, l'industrie papetière peut aujourd'hui se targuer d'être l'une des plus propres et responsables. La multiplication des papiers de grande qualité et à forte performance environnementale portant des certifications FSC, PEFC ou Ecolabel européen, permet aux entreprises d'intégrer le choix du papier dans une démarche de communication éco-responsable, tout en préservant, voire même en renforçant l'impact de leur message.
Mélange des genres : le bon message sur le bon canal au bon moment
Pour autant, le secteur du marketing direct ne saurait faire abstraction du digital. Pour preuve, Mediapost, leader historique du marketing direct traditionnel, se diversifie de plus en plus... vers Internet. "Nous sommes présents sur toute la palette marketing, du papier au Web, car plus on utilise de canaux, plus on est efficace", souligne Alain Drillet. Mediapost propose ainsi depuis quelques années un service d'e-mail marketing à mixer aux campagnes papiers. Autre innovation : un nouveau type d'imprimé publicitaire dit "connecté". Cet imprimé contient en effet un code-barres à deux dimensions, dit "code 2D", qui a vocation à être lu par un smartphone et contient toute une série de promotions, d'informations et de jeux.
"L'empreinte carbone d'un courriel est 15 fois plus importante que celle générée par un courrier en papier, compte tenu du cycle de vie des équipements électroniques"
Surtout, la société a conclu en 2012 un partenariat avec Orange, en vue d'accéder aux fichiers SMS d'un million de clients de l'opérateur mobile. "Ce service permet d'envoyer des messages promotionnels par SMS à un certain nombre de consommateurs. Cela nous ouvre un nouvel horizon", explique Alain Drillet. "Nous pensons que plus l'annonceur est présent sur les différents canaux, de l'imprimé publicitaire à l'e-mail et au SMS, et plus il a de chances de faire passer son message. La réussite réside dans la bonne connaissance de la cible, des bons messages, des bons canaux utilisés et du bon moment."
Au-delà de la multiplication des canaux, l'avenir passe donc par l'intégration de ces différents canaux, du papier au digital, c'est-à-dire par des campagnes utilisant une approche transverse, ou cross-canal. "Les annonceurs qui réussissent sont ceux qui peuvent, par exemple, envoyer un catalogue imprimé à leur client, puis le relancer par mail ou SMS quelques jours plus tard", indique Didier Farge. Cependant, cette intégration se fait désormais autour d'Internet et du point de vente, qui deviennent les centres névralgiques des campagnes. "Nous entrons dans l'ère du marketing connecté, qui permet au client d'être joint à n'importe quel moment, via le papier, la télévision, l'e-mail ou le SMS, ou encore les réseaux sociaux, et ramené vers l'Internet et le point de vente."
Et même à l'heure des mails et des réseaux sociaux, les pure-players comme Amazon découvrent les charmes du courrier postal, témoigne Simone Sampieri. "Après la réception d'un courrier publicitaire adressé, près de 50 % des consommateurs surfent sur Internet pour obtenir des informations complémentaires sur l'offre en question. Et plus d'un quart des consommateurs effectueront un achat. Le courrier a donc une réelle fonction de ré-aiguillage. C'est la raison pour laquelle les pure-players font de plus en plus appel au courrier papier pour démarcher leurs clients. Aujourd'hui, ce sont les pure-players qui constituent notre base de prospects. Ils ont un besoin de tangibilisation de la relation client. Ces acteurs ont désormais besoin d'incarner ce lien de confiance qui n'existe pas sur le Web."
Benoit Enée
solutions consulting director - Experian Marketing Service
Le déclin annoncé du papier n'a pas eu lieu, pourquoi ?
Grâce à des innovations technologiques comme l'impression à données variables et les envois ciblés, le publipostage permet aux entreprises et aux organismes de communiquer personnellement et efficacement avec un groupe très précis de clients. Le papier est souple, mesurable et économique, et c'est pourquoi son utilité ne fait que grandir - même en cette ère du numérique.
Confirmez-vous l'essor de la stratégie cross-canal dans le marketing ?
Naturellement ! En utilisant le papier de concert avec d'autres médias, les campagnes de marketing n'en sont que plus efficaces. Les catalogues peuvent inciter les consommateurs à faire des achats en ligne. Le publipostage peut susciter des appels téléphoniques ou des visites en magasin. Et les magazines peuvent venir s'ajouter à d'autres médias et renforcer l'image de marque d'une entreprise.
Quelles sont les clefs d'une campagne marketing réussie ?
Selon moi, l'avenir du marketing direct est autour de la connaissance client et de la personnalisation de la communication. L'enjeu est de comprendre le consommateur, d'anticiper ses besoins et de jouer la complémentarité entre le papier et les autres canaux, de maximiser les ventes ou le service après-vente. Par exemple, si un client a cliqué deux fois sur la plaquette d'information sur le livret A, nous recommandons à l'établissement financier d'envoyer une brochure au client qui est potentiellement dans un processus avancé de décision. Dans ce cas, on a bien une interaction intelligente.
Papier en entreprise, le gaspillage perdure
Chaque octobre, la Journée mondiale sans papier sensibilise les entreprises afin qu'elles réduisent leur dépendance au papier, qu'elles contribuent ainsi à un monde sans papier, plus efficace et durable. Pourtant, les trois principaux leviers d'amélioration permettant d'éliminer le papier au sein des entreprises (salle de courrier numérique, processus sans papier et capture mobile) peinent à s'imposer. En effet, selon une étude de l'Association pour la gestion des images et des informations (AIIM) publiée en 2012, seulement 10 à 20 % des entreprises affirment aujourd'hui avoir intégré l'un de ces leviers dans leur stratégie globale. Toujours selon l'étude menée par AIIM, si réduire le volume de papier fait partie des campagnes en cours dans 3 entreprises sur 4, seules 24 % ont réellement mis en place une règle concrète ou un principe spécifique de "chasse au papier".
En réalité, les gaspillages de papier sont légion dans les bureaux. 77 % des factures électroniques des entreprises interrogées seraient imprimées avant d'être à nouveau scannées, la plupart du temps pour apposer une signature en bas de page. Et ce n'est pas la seule "aberration" relevée dans l'enquête : 20 % des organisations scanneraient la majorité de leurs courriers entrants afin de distribuer virtuellement les messages aux salariés. Pas moins de 45 % des documents scannés par ces sociétés étaient, à la base, numériques. Réduire la consommation de l'imprimé représente donc un enjeu écologique, mais pas seulement. L'aménagement des espaces de travail entre également en jeu : le papier occuperait 15 % des surfaces, selon l'AIIM. Et pour les sociétés aux locaux exigus, diminuer sa présence permettrait au bout de 5 ans un gain de place de 8 %. Sans oublier un retour sur investissement, un an après, pour 42 % de celles qui ont misé sur le numérique
Chiffres clés
En une semaine, quasiment tous les Français (97,6 %) ont eu au moins un contact avec le média courrier (adressé publicitaire, relationnel ou imprimé publicitaire). Sur un jour moyen, cela représente déjà près de 6 Français sur 10 (55,8 %). Un lecteur va alors effectuer 12,5 lectures par semaine (cumulant des premières lectures de documents et des reprises en main).
Source : Balmétrie.
Source : Le Nouvel Economiste.fr"