Les Français n'aiment pas la pub sur internet, et ça commence à poser problème

Publié le 05/12/2014

La publicité sur internet dérange près de huit Français sur dix. Conséquence, un sur cinq utilise un bloqueur de pub. Ce qui commence à paniquer les sites web et les annonceurs. Décryptage d'un phénomène.

Ras-le-bol. La pub sur le web, c'est la plaie. Elle dérange "beaucoup" plus d'un Français sur quatre (26%) selon une étude d'Opinion Way pour Mozoo. Et au moins "un peu" 52% des répondants à ce sondage. Soit au total plus de 8 Français sur 10 à qui il arrive de pester contre elle. Pas étonnant, dans ces conditions, que les internautes aient de plus en plus recours à des bloqueurs de pub, à commencer par le plus connu, Adblock Plus. Cet usage s'est même tellement développé que les éditeurs de sites qui se financent essentiellement par la pub - dans le domaine de la presse, notamment - commencent à le trouver dangereux pour leur pérennité. D'où une réflexion sur une éventuelle action en justice, que Les Echos annonce comme imminente.

Une pub "omniprésente"

Selon l'étude, c'est sur un ordinateur que la pub exaspère le plus, soit 70% des sondés, contre 20% sur smartphone et 8% sur tablette. Un résultat qui arrange bien le commanditaire, spécialisé dans la publicité sur mobile. Les moins dérangés par la publicité sur un ordinateur - les 25-34 ans - sont aussi les plus gênés par la publicité mobile. C'est l'inverse chez les séniors. Principal reproche adressé à la publicité : elle gêne la navigation (43%). Une personne sur cinq la trouve carrément "omniprésente".

20% d'utilisateurs d'"ad blockers" en France

Pour échapper à la pub, à la télé, les téléspectateurs zappent. Sur internet, ils installent une sorte de zapette automatique, intégrée au navigateur web, qui supprime les pubs de leur écran. C'est aussi simple que cela. Adblock Plus serait ainsi l'extension qui a le plus de succès sous Firefox. Combien sont-ils à avoir installé un ad blocker ? "Le phénomène est difficile à quantifier, mais on peut dire que le marché français est en train de passer les 20% en moyenne", affirme Emmanuel Parody, secrétaire général du Geste (groupement des éditeurs en ligne). Sur certains sites qui ont un lectorat plutôt geek, c'est beaucoup plus. Le site d'informations spécialisées Nextinpact indique que 45% de ses visiteurs ont activé un ad blocker. Aux Etats-Unis, 41% des 18-29 ans affirment avoir installé ces bloqueurs de pub, selon Les Echos.

Payer pour un internet sans pub?

Le problème, c'est que les internautes ne veulent pas payer - ou pas suffisamment - pour se libérer de la publicité. Une étude de eBuzzing (devenu Teads), qui développe des solutions publicitaires vidéos, menée au Royaume-Uni, avait calculé qu'un internet sans pub coûterait 170 euros par an aux internautes. Un calcul sans doute un peu hasardeux, mais intéressant à comparer avec les résultats de l'étude Opinion Way : 47% des Français ne sont pas du tout prêts à payer, et seuls 13% seraient "probalement" ou "certainement" disposés à dépenser 65 euros par an (un chiffre dérivé d'un calcul proche de celui d'eBuzzing appliqué à la France) pour bénéficier d'un internet sans publicité. Autant dire que la publicité a de beaux jours devant elle.

Comment en est-on arrivé là?

La publicité est le modèle économique numéro un sur internet. C'est vrai des sites des médias mais aussi des sites de piratage. Ces derniers ont été l'un des moteurs de l'adoption des bloqueurs de pub car ils n'ont que faire des bonnes pratiques recommandées par l'IAB (Internet advertising bureau, qui regroupe les principaux acteurs du marché publicitaire).

L'évolution du marché publicitaire a aussi son rôle dans la perception qu'ont les internautes de la pub en ligne. D'une part, les tarifs publicitaires ont progressivement baissé. Cela oblige à servir plus de publicité pour atteindre un chiffre d'affaires équivalent. "Les ad blockers sont le virus qui est sorti de l'économie du clic", déplore Emmanuel Parody. D'autre part, l'expansion de la programmatique, qui automatise l'achat et la vente d'espaces publicitaires, a contribué à augmenter le nombre d'espaces pub "occupés" sur les sites. "Les internautes ont le sentiment d'avoir des espaces toujours remplis. Ils l'étaient déjà, mais par de l'autopromotion", qui semblait moins agressive, explique à L'Express David Lacombled, le président de l'IAB France.

L'évolution des formats a joué, elle aussi. La vidéo, en croissance de 34% en 2014, représente désormais 23% des publicités sur internet. Or, c'est un format particulièrement détesté par les utilisateurs de bloqueur de pub. Les "pre-roll" (ces spots diffusés avant un contenu vidéo) qui durent plus longtemps que la vidéo elle-même, et les publicités en "autoplay" (dont le son démarre automatiquement) sont ainsi jugés comme les plus "agressifs" par David Lacombled, et tendent à "créer un rejet global", explique le président de l'IAB France.
Les éditeurs et les annonceurs contre-attaquent

Face à des internautes qui veulent le beurre et l'argent et du beurre, les éditeurs ont différentes stratégies. MyTF1 et L'Equipe, par exemple, ont coupé l'accès à leurs contenus vidéo aux utilisateurs qui bloquaient leurs pubs depuis la Coupe du monde de football cet été. D'autres, comme Gameblog, préfèrent l'approche pédagogique. Le site détecte les bloqueurs de pub, et affiche un message invitant à "soutenir Gameblog.fr en ajoutant le site en exception dans votre bloqueur de publicité". Une méthode qui permettrait de "récupérer quelques % sur le taux d'utilisation des ad blockers", indique Emmanuel Parody. Un nouvel outil est également apparu : un bloqueur de bloqueur de pub, mis au point par la nouvelle société du Français Frédéric Montagnon (ancien d'Overblog), Secret Media. Sa solution permet de contourner les logiciels comme Adblock Plus.

Reste la solution de l'action en justice. Mais si elle a lieu, elle ne règlera pas le problème de l'acceptation de la publicité. Elle sera davantage dirigée contre le double-jeu des bloqueurs comme Adblock Plus, qui se fait rémunérer par les annonceurs pour les ajouter à sa "liste blanche". Du reste, cette action n'est pas encore décidée. "La piste juridique est une des pistes, nous y travaillons depuis début 2014", avec le SRI et l'IAB, précise Emmanuel Parody à L'Express. L'IAB confirme "ne pas être sur le point de déposer quoi que ce soit".

Pour l'instant, donc, les acteurs du marché réfléchissent. "On est face à une situation radicale, reconnaît David Lacombled. Il faut que l'on repense la pratique de notre métier." Comment ? En "redéfinissant le contrat de lecture" entre les médias et leurs lecteurs, pour Emmanuel Parody. En "faisant des efforts de créativité" et en "éliminant les comportements trop agressifs", pour l'IAB, dont les dernières recommandations en termes de formats datent de début 2013, et qui devrait les faire évoluer en 2015.

Source : L'Expansion