Le magasin idéal, c'est un magasin connecté à ses clients

Publié le 21/01/2015

Entretien : Béatrice Boussard directrice de Sens'O

Comment s'adapter aux nouveaux parcours d'achat du consommateur qui sont plus longs (ils passent par Internet) et plus changeants (avec le mobile). Comment réinventer les concepts de magasin, proposer de nouveaux services ? Les réponses de Béatrice Boussard, fondatrice du cabinet de Retail Marketing Sens'O.

Chiffres clés Les consommateurs choisissent le magasin :

- A 65% : pour voir le produit en réalité
- A 50% : pour disposer du produit immédiatement
(Sources : Mappy et BVA Septembre 2014)
- 59% des Français souhaitent avant tout aller à l'essentiel et gagner du temps lorsqu'ils font leurs courses en magasin.
- 62% veulent régler rapidement leurs achats par le biais de caisses mobiles.
- 78% aiment l'idée de pouvoir récupérer en boutique un achat effectué en ligne.
(Sources : Miliboo et Opinion Way - Décembre 2014)
Béatrice Boussard - directrice de Sens'O

Bio express Diplômée d'économie et du CELSA, Beatrice Boussard a commencé sa carrière chez Eridania Beghin-Say. De 2001 à 2009, elle a été directrice stratégie de Carrefour Proximité. Après avoir conçu et lancé les nouveaux concepts Carrefour City, Carrefour Contact et Carrefour Express, elle a fondé le cabinet de conseil en Retail Marketing Sens'O.

Est-ce que la démarche du consommateur lors de l'acte d'achat a radicalement changé avec le digital ?

Béatrice Boussard : « En fait non. Le digital offre juste de nouveaux outils pour répondre à des questions anciennes, avant, pendant et après l'achat, lors du parcours client(1). Ces questions correspondent aux trois grands risques que nous devons réduire lorsque nous préparons un achat : celui de se tromper, de payer trop cher et de ne pas trouver le produit désiré. »

Entre le web-to-store et le showrooming(2), quelle est la place du magasin physique dans les nouveaux parcours d'achat ?

B.B. : « Il y a quelques années, les distributeurs « brick-and-mortar » craignaient la concurrence du e-commerce. Aujourd'hui, on re-découvre que le magasin est un point de contact extrêmement efficace en phase de recherche. Et particulièrement imbattable dans la transformation (le passage de l'intention à l'achat). En magasin, on touche les produits, on les essaie, on est conseillé, on profite d'opportunités... et on repart tout de suite avec ses achats. »

Comment réconcilier le magasin avec le digital ?

B.B. : « En priorité, il faut s'attaquer aux frustrations des clients que nous sommes : offre inadaptée, rupture en linéaire, merchandising confus, mauvaise ambiance générale, informations prix ou produit insuffisantes, vendeur ignorant, mauvais accueil... Tous ces irritants exaspèrent des clients devenus très exigeants. Mais il n'y a pas de solutions toutes faites. Cela dépend en grande partie du secteur dans lequel on se trouve. Dans la beauté, la qualité du conseil et les petites attentions en caisse sont un élément déterminant. Dans le textile, c'est la disponibilité du produit (taille, couleur,..), le confort de la cabine d'essayage et le coaching sur le style des vêtements à assortir qui joueront un rôle clé. »

Il faut développer les synergies entre web et magasins, dites-vous. Des exemples ?

B.B. : « Il y a des gisements dans le web-to-store, avec notamment la e-réservation qui garantit la disponibilité du produit choisi ou le « click and collect ». Le magasin peut ainsi élargir son offre et fait bénéficier les internautes des services « in store », comme l'essayage ou les conseils personnalisés. Les technologies de transmissions sans fil (« beacons », bluetooth low energy) rendent les magasins interactifs. Et l'enseigne peut prolonger l'expérience après le passage en magasin via le mobile (réseaux sociaux, applications) en proposant à ses clients des services VIP, des produits complémentaires, des vidéos (tutoriels.)... »

En point de vente, les marques ont plus de pouvoir grâce au mobile et aux réseaux sociaux...

B.B. : « Incontestablement. Les marques sont capables de partir des besoins du client, en pull et non en push, et de mesurer l'efficacité de leurs actions promotionnelles ou relationnelles en temps réel, le tout à l'intérieur du magasin.
Cette évolution débouchera sur une collaboration renforcée entre les marques et les enseignes. Il devient urgent pour les distributeurs et les industriels de connaitre ces parcours d'achat pour les baliser ensemble efficacement, avec le bon levier, au bon moment, par le bon canal. »

Le digital renouvelle aussi le rôle du vendeur...

B.B. : « Toutes les enseignes font le constat qu'il faut faire évoluer les vendeurs vers un métier de conseiller. Ce conseiller « augmenté », doté de technologies (tablettes, ...), aura accès aux stocks, aux informations produits, aux préférences et avantages ciblés du client. Ces données lui permettront d'adapter son discours et son offre commerciale. »

Les magasins sont loin d'être aussi connectés que leurs clients. Comment expliquer ce décalage ?

B.B. : « Cette mutation représente un énorme enjeu d'organisation. Elle ne peut se faire sans le pilotage de la donnée en cross canal et sans une évolution des métiers. Les équipes terrain doivent intégrer une nouvelle dimension : celle du contenu. Il faut des talents de chef d'orchestre pour piloter ce changement. »

Le magasin de demain sera-t-il tout digital ?

B.B. : « Le magasin idéal, c'est un magasin connecté mais connecté avec ses clients. C'est donc d'abord un lieu où l'on se sent bien ! L'avenir du commerce physique passe par l'émotion et par la relation. Il n'est pas dans les écrans. Plus le monde se numérise, plus on prend plaisir à déambuler entre des étals gourmands et colorés, et à discuter dans la « vraie » vie. »

De nouveaux entrants émergent dans la distribution... Une menace pour les enseignes traditionnelles ?

B.B. : « On assiste dans tous les secteurs, et notamment dans le commerce, à l'émergence de concepts disruptifs. Les grandes enseignes sont en train de perdre la maîtrise de la donnée client au profit de nouveaux médiateurs comme les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon). Le commerce collaboratif casse aussi les business models. Les grandes enseignes se font même donner des leçons par des « pure players » sur le rôle du magasin. Un seul exemple celui du français Spartoo qui vend des chaussures online (1700 marques partenaires). Ce e-commercant commence à ouvrir des boutiques pour en faire des « lieux de connaissance et d'émotion ». La bonne nouvelle, c'est que les clients sont prêts à de réels changements. »

(1) Le parcours client désigne l'ensemble des interactions que le client établit avec différents points de contact tout au long du tunnel de vente.

(2) Le « web-to-store » désigne le comportement d'achat par lequel le consommateur effectue une recherche d'informations sur Internet avant d'aller effectuer son achat en point de vente. Showrooming est la pratique selon laquelle un consommateur réalise une démarche d'information et de découverte d'un produit sur un lieu de vente physique avant de le commander en ligne.

Source : Emarketing