La migration se fait attendre

Publié le 26/01/2015

L'audience et les usages basculent du web vers les smartphones. La publicité ne suit pas (encore)

Migration numérique des médias, acte II. Après l'ordinateur et Internet, la consommation de contenus de presse passe de plus en plus par les smartphones. Une bonne nouvelle pour les éditeurs dont les contenus sont désormais à portée de main de leur public. Mais alors que le nombre d'utilisateurs s'envole, les revenus peinent à décoller. Autrement dit, l'usage ne fait pas le modèle économique. L'évolution est divergente. Comme sur le Web il y a maintenant une douzaine d'années, les journaux et autres magazines attendent toujours leurs premiers profits sur les smartphones. Pour la presse, un nouvel effet de ciseau, mobile cette fois-ci, menace. Preuve que pour les médias, rien n'est simple dans le monde numérique.

Le mobile, premier point de contact de la journée

Moins anecdotique qu'il n'y paraît, une toute récente étude de Deloitte révèle que 4 Français sur 10 consultent leur smartphone dans la demi-heure suivant le réveil. Ils sont même 6 sur 10 dans l'heure suivant la sortie du lit. Le mobile est le premier point de contact de la journée. C'est une très belle opportunité pour les annonceurs, d'autant que cet écran est aussi le seul point de contact permanent de tous les médias", se félicite en publicitaire avisé Christophe Dané, le patron du digital chez Omnicom Media Group France. Le smartphone bat décidément tous les records. Il s'en vend de plus en plus : sans doute plus de 17 millions en France en 2014 selon Gfk.

Plus de la moitié des Français sont mobinautes, soit près de 30 millions d'individus. Bonne nouvelle pour les médias, cet écran amplifie l'appétit des Français pour l'information : un utilisateur de téléphone mobile sur 4 paramètre des alertes sur des applications de news, et avec les réseaux sociaux - Facebook ou Twitter -, les mobinautes jouent même un rôle actif dans la circulation de l'information : 17 % des Français y partagent des actualités. "Le mobile est un appareil remarquablement bien adapté à la consommation de contenus d'actualité chauds, aux news et aux alertes", témoigne Frédéric Daruty, le tout nouveau directeur exécutif de Prisma Média qui édite notamment Gala, Femme Actuelle, VSD ou encore Télé-Loisirs. Pour l'éditeur, la consommation d'informations depuis un mobile est un phénomène massif : "sur certains titres, le mobile a dépassé le Web comme avec Télé-Loisirs". Le Monde, qui a lancé sa toute nouvelle application mobile en juin dernier, considère même le smartphone comme le premier point d'entrée dans l'univers de la marque.

Le constat est sans appel : la part d'audience qui bascule du Web vers le mobile s'accroît sans cesse. Audiovisuel, presse écrite, tous les "publishers" sont concernés. Et cela va très loin, comme le rappelle Yannick Sadowy, managing director chez Accenture en charge des médias et de l'édition : "Aux États-Unis, le temps passé devant un écran mobile est supérieur au temps passé devant la télévision. C'est une rupture forte, la télévision n'est plus le premier écran vers lequel le public se tourne pour consommer des médias".

Le modèle publicitaire reste à inventer

Las, la publicité sur mobile est encore loin du niveau que justifieraient les usages du public. Même aux États-Unis. Selon ZenithOptimédia, le "tout petit écran" n'attire que 2,5 % des investissements publicitaires, alors que les Américains passent près de 12 % de leur temps devant. La France est encore plus à la traîne. Selon le dernier observatoire de l'e-pub du Syndicat des régies Internet réalisé par PwC et l'Udecam, le marché de la publicité sur mobile en France reste sous-investi. Il ne représente que 14 % des investissements publicitaires - 136 millions d'euros au premier semestre 2014 -, contre 25 % en Grande-Bretagne.

Quels sont les principaux freins qui entravent la croissance publicitaire?

Pour Bruno Luriot, cofondateur de l'agence interactive Biborg, "il reste un modèle publicitaire à inventer sur mobile. Il y a moins d'ambitions que sur le Web et peu d'innovations. La qualité publicitaire est faible et il y a très peu de créations". L'appareil souffre de plusieurs faiblesses. Entre autres : la taille d'un écran jugé étriqué, le rejet supposé des utilisateurs pour une publicité sur un appareil considéré comme intime, une technologie complexe où cohabitent plusieurs systèmes, - iOs d'Apple, Android de Google, Windows de Microsoft -, qui requiert donc plus de technicité mais aussi d'investissements, ou encore une normalisation encore en cours des formats publicitaire.

Il en résulte un marché plus que frileux. Christophe Dané d'Omnicom résume : "les annonceurs poussent du bout des lèvres le mobile. Les stratégies publicitaires spécifiques pour ce support restent rares. Sur le mobile, il n'y a pas de cookies. La publicité s'y rapproche plus du CRM avec possibilité de remonter beaucoup de data. Or chez les annonceurs, la publicité est une compétence des services de communication, mais pas le CRM qui relève du marketing. On est dans un enjeu de transformation numérique des organisations". Côté éditeurs, on retrouve le même phénomène qu'au début des années 2000 avec l'éclosion de la publicité sur Internet : les éditeurs externalisent ce travail car ils ne génèrent pas assez de revenus pour mobiliser des ressources en interne. "Souvent, chaque support a ses spécificités techniques, ses formats propriétaires. C'est un problème pour les annonceurs qui doivent livrer des créations multiples aux éditeurs", ajoute Bruno Luriot.

Annonceurs et éditeurs, même combat

"Tous les éditeurs doivent faire des efforts pour produire des environnements plus intéressants sur mobile", reconnaît Frédéric Daruty de Prisma. Ce qui est pertinent ? Avant tout des publicités adaptées aux usages : tenir compte des fonctionnalités des appareils comme l'accéléromètre, la géolocalisation, la caméra ou le microphone. Les smartphones commencent à faire l'objet de stratégies publicitaires spécifique. Pour le lancement de sa nouvelle application mobile, le journal Le Monde a développé des formats publicitaires innovants réservés en exclusivité à deux annonceurs Land Rover et Sony.

Il y a quelques mois, le groupe Prisma a pris une participation dans une régie publicitaire mobile baptisée Mobvalue. Les groupes de média et de communication se mettent en ordre de marche. Mais le chemin est long, comme le rappelle Yannick Sadowy d'Accenture : "les annonceurs doivent proposer des offres publicitaires différenciées plongeant le public dans des nouvelles expériences de communication avec les marques. Quant aux éditeurs, ils devront apprendre à mieux valoriser les comportements et les usages de leur audience à travers l'exploitation des données utilisateurs. Ce qui n'est pas facile, car cela nécessite de nouvelles compétences qui sont des ressources rares et donc chères".

Les audiences des médias sur mobile

Marques / Nombre de visiteurs uniques (en millions)
Le Figaro 3.9
Le Monde 3.8
Le Parisien 3.6
L'internaute 3.1
France Télévisions News 2.8
Source : Médiamétrie - Septembre 2014

Source : Le Nouvel Economiste"