"Je veux lancer un rendez-vous sur la compétitivité en 2016", affirme Jean-Philippe Girard (Ania)

Publié le 12/10/2015

Plutôt discret depuis les violentes crises estivales des filières élevages, Jean-Philippe Girard, le président de l'Association nationale des industries agroalimentaires (Ania) souhaite lancer un grand rendez-vous sur la question de la compétitivité de l'agroalimentaire français en 2016. L'Ania travaille également à l'élaboration d'un livre blanc sur les relations industriels et distributeurs, alors que débute les traditionnelles négociations commerciales annuelles.

L'Usine nouvelle : Les crises dans les filières élevages se succèdent depuis cet été et les négociations commerciales débutent, mais l'Ania s'est fait peu entendre sur ces sujets. Pourquoi ?

Jean-Philippe Girard : Nous menons une réflexion de fond sur ces dossiers. Les guerres de prix et de parts de marché que se livrent les distributeurs nous mettent sous pression. Cela se répercute mécaniquement sur l'amont agricole.
Nous avons atteint le bout de cette logique. J'ai l'impression qu'il y a une prise de conscience aujourd'hui. Les grands patrons de la grande distribution, y compris Michel-Edouard Leclerc, évoluent en voyant les conséquences en termes d'emplois et de fermetures d'entreprises. Cette déflation alimentaire nous entraîne vers une déflation sociale.
Cette prise de conscience doit nous permettre de construire une autre forme de relations commerciales. Il est important de voir à quelle hauteur est la marche, quelle réorganisation doit s'imposer dans les filières. Plutôt que de subir la crise et les conséquences qu'elle impose, il faut l'anticiper et se transformer dans le bon sens. Nous entamons cette réflexion jusqu'à la fin de l'année. Nous formulerons des propositions au premier semestre 2016, après la fin des négociations commerciales. Ce projet pourrait prendre la forme d'un livre blanc pour les élections présidentielles.

Pourquoi ne pas avoir mené cette réflexion avant les négociations qui débutent ?

Nous ne voulons pas signer de chèque en blanc à la grande distribution. Nous avions espoir que les négociations de 2015 se passent mieux, avec la mise en place de la loi de consommation. Elles ont été plus dures qu'en 2014. Depuis trente ans que je suis chef d'entreprise, c'est la première fois que je vois une situation aussi grave et tendue. Si les négociations se terminent mieux début 2016, alors nous pourrons signer un partenariat avec la distribution.
Il faut sortir de la seule logique de prix le plus bas dans les négociations. En 2014, nous avons perdu 800 millions d'euros de chiffre d'affaires dans les rayons, à cause de la guerre des prix. C'est une perte de valeur inutile car le consommateur ne s'en rend même pas compte.

La loi de consommation est à sa deuxième année et montre ses limites. Faut-il passer par un nouveau texte législatif ?

Nous voyons bien que la loi ne peut pas tout. Elle doit déjà être appliquée, et les contrôles de la DGCCRCF renforcés. Mais c'est aussi à nous de trouver des solutions. Avant de signer des partenariats avec la grande distribution, comme certains peuvent le faire, il est important de dresser un diagnostic, sur les problématiques de l'agriculture, de l'alimentation et de la distribution. Ils existent mais de manière dispersé.

Les industriels de l'agroalimentaire n'ont-ils pas une part à assumer aussi dans leurs problèmes de manque de compétitivité ?

Nous voyons bien que les métiers qui ne se sont pas modernisés ou qui n'ont pas pu le faire, sont en danger aujourd'hui. La concurrence n'est plus que chinoise et brésilienne, elle est aussi intra-communautaire. Dans certaines filières, quand on ne fait pas la différence par le goût ou la qualité, il faut se poser la question de notre compétitivité. Je souhaite lancer en 2016 un grand rendez-vous de réflexion sur notre compétitivité. Quelles sont nos points forts et nos points faibles par rapport à nos voisins ? Il n'y a que deux entreprises sur dix en France dans l'agroalimentaire qui exportent contre huit sur dix en Allemagne. Souvent, les entreprises manquent de repères sur leur compétitivité. Nous réfléchissons à établir un top 500 de l'industrie alimentaire française, selon des critères d'innovation, d'exportation, d'emplois... Cela pourrait créer une dynamique, pour permettre aux entreprises de se mesurer les unes aux autres.

Dans les filières en crise, doit-on pousser au regroupement des usines pour réduire les coûts, avec des outils modernisés ?

Est-ce que le modèle pour demain est de mille hectares et mille vaches, comme dans beaucoup de régions du monde ? Si l'on pousse au regroupement, va-t-on sauver des filières ou accentuer la guerre des prix en rentrant dans une démarche productiviste ? Cela entraînerait en tous cas la disparition de PME. Je pense qu'il y a un modèle intermédiaire à trouver. Je ne crois pas que la France gagne le pari du prix. Je préfère que l'on produise mieux. La contractualisation entre le producteur et l'industriel peut aussi être une solution vertueuse. Cela permet de travailler sur la durée et d'être plus serein. Ce n'est pas un hasard si les entreprises engagées dans ces démarches sont souvent plus innovantes et plus modernes. Les négociations commerciales tous les ans sont usantes et fatigantes pour les entreprises. Il faut travailler davantage sur la durée dans certaines filières pour favoriser les investissements.

L'Ania a signé récemment une charte "Ensemble à l'export", avec Matthias Fekl, le secrétaire d'Etat chargé du commerce extérieur. En quoi peut-elle améliorer les positions des industriels à l'export ?

L'idée est de jouer collectif. Quand une entreprise est présente dans un pays, elle peut partager ses contacts. Si j'ai besoin de trouver un distributeur dans un pays, je peux faire appel aux réseaux de collègues ou permettre de développer des initiatives collectives de développement commercial à l'export. Il faut aussi que les grands groupes français de la distribution fassent un effort pour nous accompagner à l'export. L'idée est de mettre en place des semaines françaises un peu partout dans le monde dans les hypermarchés. C'est un petit coup de pouce, mais qui peut nous faire gagner trois ans. C'est du gagnant-gagnant pour eux et pour nous.

Propos recueillis par Adrien Cahuzac

Source : L'Usine Nouvelle