Gaspillage alimentaire : les choses ont-elles changé dans la grande distribution ?

Publié le 13/10/2015

Malgré la convention signée entre Ségolène Royal et la grande distribution en août, le gaspillage alimentaire semble se poursuivre dans les grandes surfaces. L'AFP a suivi une association de "glaneurs" près de Lyon.

Fruits, légumes, yaourts, féculents, truite fumée.... Tous ces produits invendus mais comestibles se retrouvent toujours en quantité dans les poubelles de vos supermarchés. Armés de lampes frontales, protégés par des gants de ménage, une poignée de "glaneurs" et "glaneuses" - fédérés dans le mouvement des "Garspilleurs" - s'affaire dans la nuit à récupérer ces denrées, jetées dans des bacs à côté d'un magasin Grand Frais, dans la banlieue sud de Lyon.

L'opération a commencé vers 22h. Ici, point d'odeur de javel, qui a longtemps servi à rendre les produits jetés impropres à la consommation. Plutôt des effluves de coriandre et de menthe mêlées à celles de tomates bien mûres. Il y aurait de quoi remplir plusieurs chariots de supermarché. Tout est comestible, la DLC (date limite de consommation) n'arrivant que dans une poignée de jours.

Pour Max, membre du mouvement âgé de 28 ans, c'est la preuve que le récent accord contre le gaspillage entre le ministère de l'Écologie et la grande distribution est un leurre. Max se définit comme un "glaneur" - le glanage étant un droit remontant au Moyen-âge consistant à récupérer dans les champs les épis oubliés par les moissonneurs. "Maintenant que les supermarchés sont partout, on ne glane plus les champs, on glane les grandes surfaces", explique-t-il.

A chaque début d'opération, il prévient aussi les nouveaux : "Si on croise la sécurité ou les gendarmes, le mouvement des Garspilleurs n'existe pas. Vous êtes étudiants et vous avez faim. Moins on reste dans les lieux, mieux c'est. A la fin, on laisse propre". Après la razzia, Max va chercher sa fourgonnette. Les "Garspilleurs" la remplissent en quelques minutes. Pas question de s'éterniser, puisqu'ils agissent dans l'illégalité sur une propriété privée. En revanche, ils n'enfreignent pas la loi lorsque, un peu plus tard, ils tombent sur la poubelle d'un Leclerc, posée à quelques mètres de l'entrée du supermarché.

Là encore, jackpot! Plusieurs dizaines de kilos de denrées non périmées leur tendent les bras. "On a des dizaines de pizzas qui se périment le 27/09 et on est le 24 !" soupire le jeune homme. Soudain, une dame travaillant dans un bâtiment proche arrive, méfiante, croyant que le groupe dégrade les lieux. Quand Max lui montre la nourriture grappillée, elle approuve. "J'ai travaillé dans la grande surface, je sais ce que c'est! On jetait 10 jours avant la DLC. En tant qu'employés, on ne pouvait rien faire, on ne pouvait pas récupérer. C'est minable, cette pratique".

Contactée par l'AFP, la responsable d'une de ces enseignes admet que "ça fait mal au coeur de jeter". "On ne peut pas prendre le risque de faire tomber des gens malades", plaide-t-elle. Elle assure que son groupe "a contacté deux fois des associations pour qu'elles récupèrent dans les poubelles et elles ne sont pas venues".

Agathe, "glaneuse" d'une vingtaine d'années, confie en farfouillant dans une poubelle de boulangerie : "j'ai mangé pendant un an grâce aux poubelles de Monoprix, en bas de chez moi". Cécile, décomplexée, ajoute : "Je mange beaucoup plus varié depuis que je fais les poubelles!". "Vraiment, ça me choque. Je ne comprends pas qu'aujourd'hui on puisse jeter", se désole Katib, un chef d'entreprise. Mélanie, 25 ans, elle ne se sert pas, mais trouve "inadmissible" ce gâchis, alors qu'est organisée le 16 octobre la journée de lutte contre le gaspillage.

Un article sur le gaspillage alimentaire - adopté à l'unanimité des députés le 22 juillet dernier - était prévu dans la loi sur la transition énergétique. Il prévoyait d'interdire aux distributeurs du secteur de l'alimentation de rendre leurs invendus impropres à la consommation et devait obliger les grandes surfaces (plus de 400 m²) à conclure une convention avec une association caritative pour faciliter les dons alimentaires. Mais cette mesure a été retoquée sur la forme par le Conseil Constitutionnel.

Après l'annonce du Conseil Constitutionnel à la mi-août, Ségolène Royal avait assuré qu'elle n'en "resterait pas là". La ministre avait convoqué les représentants de la grande distribution le 27 août pour leur faire signer une "convention d'engagement volontaire en faveur de la lutte contre le gaspillage alimentaire". La convention comprend un engagement prioritaire en faveur de la prévention du gaspillage et l'obligation de favoriser "l'utilisation des invendus propres à la consommation humaine, à travers le don ou la transformation". Cette dernière devra se faire soit en transformant les produits en alimentation animale, soit en "compost pour l'agriculture ou pour la valorisation énergétique, notamment par la méthanisation".

La plupart des distributeurs français avaient expliqué être déjà engagés dans diverses pratiques anti-gaspillage. Carrefour a ainsi redistribué à 800 associations l'équivalent de 77 millions de repas en 2014, selon la directrice développement durable du distributeur, Sandrine Mercier. Leclerc, Intermarché et Système U ont noué des partenariats avec la start-up "Zéro gachis", pour instaurer des rayons spéciaux pour les produits à date courte, vendus à tarifs réduits, jusqu'à -70%.

La Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD) estime que la grande distribution est "le premier donateur aux associations", avec 31% des dons et souligne que le secteur n'est responsable que de 5 à 10% du gaspillage alimentaire en France, loin derrière la restauration (15%) ou les ménages (70%).

En effet, si elle est régulièrement mise à l'index, la grande distribution n'est pas le plus mauvais élève en matière de lutte contre le gaspillage alimentaire. Les chiffres varient selon les études, mais selon un rapport remis en avril par l'ancien ministre de l'Agroalimentaire, Guillaume Garot, la grande distribution gaspillerait moins que les particuliers et que la restauration (entre 562 et 750 kilotonnes par an, contre 1.080 pour la restauration et entre 2.212 et 6.323 pour les ménages).

La Commission européenne arrive à la même conclusion : la grande distribution jetterait près de 750.000 tonnes de nourriture par an (5% de l'ensemble), contre 1 millions pour les restaurants. Chaque Français jetterait lui en moyenne 20 à 30 kilos de nourriture par an, ce qui représente une somme de 12 à 20 milliards d'euros sur une année.

Source : Boursorama