Amazon à l'assaut de l'édition

Publié le 18/05/2016

Au-delà de son activité de libraire, le géant américain joue désormais aussi les éditeurs sous différentes formes avec Kindle Direct Publishing et Amazon Publishing.

On en revient toujours au "fait maison". C'est peut-être dans cet état d'esprit qu'Amazon ne se contente plus de la seule distribution, mais entend aussi être à la source de la création. Si on évoque souvent l'essor de la firme dans la création audiovisuelle pour tous les écrans, son intérêt pour l'édition est déjà manifeste, à travers deux formes différentes. Un laboratoire?

Depuis 2007 aux Etats-Unis - et 2011 dans l'Hexagone -, les auteurs rêvant de voir leurs romans publiés peuvent avoir recours à Kindle Direct Publishing (KDP), un service d'autoédition en ligne de livres numériques. Aux antipodes du bon vieux "compte d'auteur" aux clauses ambiguës et à l'addition salée, deux arguments de poids sont mis en avant: gratuité et facilité d'utilisation.

Il suffit de créer un compte, en quelques clics, de charger un fichier (si possible corrigé), de fixer un prix (si possible attractif) et voilà l'objet en format numérique sur le marché! Ou plutôt, sur Amazon, c'est-à-dire noyé dans un océan d'autres plumes, souvent refusées par les maisons traditionnelles et en quête d'un lectorat. Amazon n'assure ici que la distribution - ou, plus exactement, les moyens de distribution -, et il appartient aux auteurs de se débrouiller pour exister.

Amazon en profite pour prendre pied en Europe

Les amateurs de livres papier ne sont pas oubliés: l'option CreateSpace leur permet de proposer une version papier de leur oeuvre, via l'impression à la demande. Dans cette masse, quelques Français ont tiré leur épingle du jeu. Révélées grâce à ce système Amazon, Agnès Martin-Lugand (Les gens heureux lisent et boivent du café) et Amélie Antoine (Fidèle au poste) ont rejoint l'éditeur "traditionnel" Michel Lafon tandis que Sophie Tal Men vient de publier Les Yeux couleur de pluie chez Albin Michel.

Mais le géant de Seattle voit déjà plus grand: avec Amazon Publishing, assez proche du modèle traditionnel, il est désormais possible de changer de mode d'édition sans pour autant quitter la firme de Jeff Bezos - c'est notamment ce qu'a fait Enzo Bartoli.

Cette nouvelle activité, pilotée par Larry Kirshbaum, ancien PDG de Time Warner Book Group, a évolué progressivement, en quelques années, via plusieurs labels. Ainsi dès 2009, Amazon propose avec le catalogue Encore un large choix d'ouvrages, désormais indisponibles, en format Kindle. Quelques mois plus tard, le service Crossing se consacre aux traductions de littérature étrangère pour le marché principalement nord-américain. D'autres divisions se sont ensuite installées, pour l'essentiel dans la littérature grand public, sous les noms de 47North, The Domino Project, New Harvest ou Jet City Comics. Identités de collections ou volonté de dissimuler le cachet Amazon?

Au passage, l'éditeur distributeur s'est ouvert au monde en s'implantant en Angleterre, en Allemagne, en Italie, en Espagne et, depuis un an, en France. Sous cette étiquette, on peut ainsi commander sur le site, en version papier ou e-book, une soixantaine de titres traduits en français, parmi lesquels Les Mariées du Blitz de Helen Bryan, Le Dernier Repos de Sarah de Robert Dugoni ou L'Evadée de Simon Wood. "Mais nous avons aussi publié avec Amazon Publishing des auteurs français", précise le "consult editor" Clément Monjou. Tous deux repérés d'abord sur la "pépinière" KDP, Lionel Camy (Klimax) et Julien Aranda (La Simplicité des nuages et Le Sourire du clair de lune) sont ainsi passés de l'autoédition à un autre mode, avec un véritable lancement et un travail sur le texte et l'objet.

"Julien Aranda sera traduit prochainement en italien et en espagnol, insiste Clément Monjou. L'un des atouts d'Amazon Publishing, c'est d'avoir une force de frappe mondiale, et donc de pouvoir mettre en valeur ses auteurs à l'échelle internationale." Voilà peut-être pourquoi certains genres, plus faciles à exporter, sont privilégiés: la littérature sentimentale, les thrillers, le roman historique, le domaine young adult...

Des couacs retentissants

Dans son ascension, Amazon Publishing a connu toutefois quelques couacs retentissants. En 2012, le best-seller culinaire The 4-Hour Chef, acheté un million de dollars aux enchères, est boycotté par plus de sept cents libraires à travers le pays - dont Barnes & Noble (les choses sont depuis rentrées dans l'ordre: on peut même aujourd'hui acquérir l'objet du scandale sur... le site de la célèbre chaîne américaine!).

Quant au roman de l'acteur James Franco, Actors Anonymous, il ne dépasse pas les cinq mille exemplaires vendus... Dans l'Hexagone également, Amazon peine à voir ses livres papier, au-delà du site Web, trouver place sur les tables des libraires français et ses auteurs être invités dans les salons. "Mais, bon, si j'ai un auteur local qui m'apporte ses ouvrages Amazon Publishing en dépôt-vente, ironise un libraire, je ne vais pas les refuser, comme je le fais avec ceux des petites maisons ou parus à compte d'auteur." Goliath et David ne sont parfois pas si éloignés...
"C'est une nouvelle aventure"

Témoignage d'un des premiers auteurs à faire paraître un roman sur Amazon Publishing, Enzo Bartoli.

"J'ai publié mon premier roman, Une cause perdue, en 2007 dans une petite maison d'édition locale [La Main Multiple], puis un autre l'année suivante. Après plusieurs refus d'éditeurs je me suis tourné vers Kindle Direct Publishing. Agnès Martin-Lugand y avait rencontré le succès, alors pourquoi pas moi? J'ai donc tenté l'autoédition en 2013 avec mes polars Cul sec! et Curriculum mortem.

A ma grande surprise, ils ont rapidement atteint les premières places du top 100 du classement Kindle pendant plusieurs semaines. Voyant l'intérêt suscité par Les Loges du mal, Clément Monjou m'a contacté. Il cherchait des auteurs pour Amazon Publishing, en me précisant qu'il s'agissait là d'une autre forme de publication et d'un engagement dans la durée. Mon texte initial, disponible sur la plate-forme, a alors été retiré et retravaillé dans trois directions: la reconstruction de l'intrigue, la correction et, bien sûr, la chasse aux coquilles [rires].

Nous avons aussi travaillé ensemble sur la couverture. Pour information, je n'ai reçu aucun à-valoir. Mon livre a été envoyé à quelques journalistes et, surtout, à des blogueurs. C'est une nouvelle aventure: cette nouvelle version des Loges du mal vient de sortir sur Amazon.fr, à la fois sous forme numérique et en version papier. J'attends de voir ce qui va se passer... "

Source : L'Express