Voilà un projet de loi qui devrait cristalliser les tensions entre la grande distribution, les agriculteurs, les consommateurs, les associations écologistes et celles de défense des animaux. Avec 18 articles et plus de 2 500 amendements, le texte « pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable » – dit loi Egalim – arrive dans l'hémicycle ce mardi 22 mai. Après un passage au sein des commissions du Développement durable et des Affaires économiques, il devrait déchaîner les passions des députés.
Quid de nos assiettes ? Et de celles de nos enfants à la cantine de l'école ? Le bio, le glyphosate, les néonicotinoïdes, le doggy bag, les œufs des poules en cage, les abattoirs... Le Point vous explique tout.
Traçabilité du miel
À la cuillère, dans le lait, sur une tartine beurrée..., les Français raffolent de miel. À tel point que le pays en dévore quatre fois plus qu'il n'en produit. Dans une synthèse datée de 2016, l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) révélait que la production nationale ne parvenait pas à satisfaire la consommation, qui avoisine, elle, les 40 000 tonnes. Entre 2004 et 2014, la production française du nectar doré a chuté de 25 500 à 13 200 tonnes et les importations ont plus que doublé (de 17 000 à 34 000 tonnes sur la même période). D'où viennent ces miels ? Principalement d'Espagne, de Chine et d'Ukraine, selon FranceAgriMer. Ces mêmes miels qui fleurissent dans les rayons de nos supermarchés avec l'obscure mention « mélange de miels originaires/non originaires de l'Union européenne » et que l'UFC-Que choisir épinglait en 2014. Selon l'association de consommateurs, un tiers des miels « premier prix » achetés dans diverses enseignes de la grande distribution présentaient des ajouts de sucres. Un an plus tôt, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) reprochait à plus d'un miel sur dix achetés en grande surface d'avoir subi « l'addition de sucres exogènes » provenant de la canne ou du maïs. Une situation trompeuse pour les consommateurs que la loi devrait régler. « Jusqu'à présent, la réglementation n'était absolument pas adaptée et plus de 80 % des Français pensaient acheter du miel de France. Ce que l'on propose, c'est la fin des mentions trompeuses », se réjouit l'écolo de La République en marche, le député Matthieu Orphelin, qui a porté l'amendement en question. S'il est voté, le texte devrait inscrire dans le marbre de la loi l'obligation d'affichage de tous les pays d'origine sur les pots de miel. Votée en commission du Développement durable puis en commission des Affaires économiques, la mesure devrait donc passer sans trop de corrections.
Le doggy bag pour tous
Il y a des chiffres qui donnent le tournis. Ceux du gaspillage alimentaire en France, particulièrement. En 2010, la Commission européenne estimait qu'un Français jetait en moyenne 136 kilos de déchets alimentaires par an, contre 173 kilos au niveau européen. La France est loin d'être un mauvais élève, mais les 10 millions de tonnes par an de ce type de déchets ont un coût : 16 milliards d'euros, selon une étude de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) publiée en 2016. À l'époque, les députés signaient un pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire afin de le diviser par deux d'ici à 2025. Le constat de l'Ademe était sans appel : les pertes de nourriture sont cinq fois plus élevées en restauration que dans la grande distribution et au domicile. En finir avec les « restes d'assiettes », c'est un des objectifs de la loi. Voté d'une courte tête en commission des Affaires économiques, l'amendement doggy bag vise à rendre la pratique obligatoire dans les restaurants. Une mesure qui n'est pas du goût de la profession, qui, par la voix de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (Umih), refuse « une obligation supplémentaire ». Reste à savoir si les Français sont prêts à un tel changement. Voilà sans doute l'obstacle le plus abrupt. Dans une étude de la Direction de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (Draaf) de la région Rhône-Alpes de 2014, 95 % des 2 700 consommateurs interrogés se disaient prêts à emporter un doggy bag. Dans les faits, en métropole, la pratique reste marginale.
Du bio dans les cantines
« D'ici à 2022, l'ensemble de la restauration collective devra proposer au moins 50 % de produits biologiques, label de qualité ou local. » C'était une promesse de la campagne d'Emmanuel Macron, qu'il renouvelait lors de son discours à Rungis en octobre 2017 lors des États généraux de l'alimentation. Et elle sera bien au cœur de la loi, même si elle ne figurait pas dans le premier jet du texte du ministre de l'Agriculture Stéphane Travert et a dû faire l'objet d'un amendement. « La réalité, c'est que, dans nos cantines scolaires, deux tiers de la viande consommée est importée d'autres pays de l'UE alors que nous sommes le plus grand pays européen en termes d'élevage ! Là, nous allons pousser les filières vers le haut en utilisant le levier de la restauration collective », explique Matthieu Orphelin, qui a dû malgré tout porter l'amendement en ce sens. Ainsi, les assiettes de nos bambins mais aussi celles dans les hôpitaux ou encore dans les cantines administratives vont changer et devraient être composées de 20 % de produits issus de l'agriculture biologique et de 30 % de produits dits « de qualité », provenant de divers labels comme les AOP, les AOC, les labels rouges, l'écolabel pêche ou les hautes valeurs environnementales (HVE).
Le juste prix pour les éleveurs
« Quand on consomme un produit, il faut être conscient que l'agriculteur qui en est à l'origine puisse être payé à la juste hauteur de son travail, au juste prix », explique le patron des députés MoDem, Marc Fesneau, pour qui l'avancée majeure « ne se trouve pas dans l'assiette ni sur les étiquettes, mais sur la fiche de paie du producteur ». L'article 1 du texte de loi doit ainsi « renforcer » le rapport de force entre les éleveurs et les centrales d'achat en fixant « des indicateurs de prix ». L'objectif ? « On doit les utiliser pour fabriquer le prix et éviter un maximum les achats à perte », explique le député centriste. Concrètement, c'est une inversion du processus de construction du prix payé aux agriculteurs. La proposition de contrat devra désormais émaner du producteur avec, comme référence pour construire le prix, les coûts de production. Une mesure « pas suffisamment coercitive », selon le parlementaire UDI Thierry Benoît : « Depuis dix ans, Bercy demande aux agriculteurs de se lier en organisations de producteurs (OP) afin qu'ils puissent négocier ensemble avec la grande distribution, mais l'État ne reconnaît pas, via la loi, la vocation commerciale de ces OP. Alors, les centrales les écoutent, mais s'en moquent. »
Et ce qui ne changera pas ?
Le glyphosate ne devrait pas disparaître de vos assiettes. Si le député Matthieu Orphelin – appuyé par le ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot – a déposé un amendement (soutenu par une cinquantaine de députés de la majorité) reprenant mot pour mot la promesse du candidat Emmanuel Macron de supprimer « d'ici à trois ans » le pesticide, il y a fort à parier qu'il sera retoqué. Aux yeux du ministre de l'Agriculture, « des actes clairs au niveau européen ont été posés. Pas besoin d'aller plus loin ». Fermez le ban. Reste que le sujet est au centre des tensions entre Stéphane Travert et Nicolas Hulot, et ce dernier n'a pas dit son dernier mot au sujet de cette substance classée comme « cancérigène probable » par le Centre international de recherche sur le cancer... Une brouille gouvernementale qui devrait – une nouvelle fois – refaire surface dans les débats parlementaires, mais l'inscription, dans la loi, de la promesse de campagne du chef de l'État risque bien de ne pas voir le jour.
Les œufs issus de poules élevées en cage devraient toujours figurer dans les rayons des supermarchés. L'amendement « Interdire à la vente les œufs pondus par des poules cages » porté par le groupe La République en marche a été retoqué par le gouvernement, sous l'impulsion de Stéphane Travert. Ce dernier, dans les colonnes du Journal du dimanche, préfère privilégier « la responsabilité de la filière, qui s'est engagée à dépasser 50 % de la production d'œufs en élevage alternatif à la cage d'ici à 2022 ». Même sanction pour un amendement de La France insoumise qui visait à interdire la vente de viande de lapins élevés en cage. Autre promesse présidentielle qui ne devrait pas voir le jour : la vidéo dans les abattoirs. Elle devait être testée en 2017 et obligatoire à compter de janvier 2018, mais l'amendement issu d'une commission d'enquête sur les maltraitances animales dans les abattoirs a été rejeté an avril dernier dans la nouvelle version du projet de loi. Seule satisfaction pour les ONG de défense des animaux : l'amendement du rapporteur Jean-Baptiste Moreau (LREM) qui prévoit un rapport sur le bien-être animal pour envisager les évolutions des pratiques de l'élevage et dans les abattoirs.
Source : Le Point
http://www.lepoint.fr/societe/loi-alimentation-ce-qui-va-changer-dans-vos-assiettes-ou-pas-22-05-2018-2220282_23.php