Les sites de e-commerce et les livreurs sont-ils vraiment les grands gagnants du mouvement des gilets jaunes ?

Publié le 13/12/2018

La grande distribution et les magasins physiques ont été les grandes victimes collatérales des gilets jaunes. Une image symbolique du mouvement social : les commerces barricadés derrière des planches en bois quelques semaines avant les fêtes de fin d'année. Les acteurs du e-commerce et de la livraison ont-ils tiré profit des manifestations ? La victoire de la vente en ligne n'est pas si évidente.

Ils ont été désignés comme les grands bénéficiaires du mouvement des "gilets jaunes". Les blocages et les manifestations ont-ils vraiment profité aux plateformes de e-commerce et aux acteurs logistiques ? À en croire les acteurs du secteur, la situation est moins évidente.

Une chose est sûre, le commerce “physique” et la distribution ont grandement souffert lors de ces semaines d’action. Et les chiffres ne manquent pas pour illustrer le manque à gagner des entreprises. Le 10 décembre, le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, évoquait même un impact sur la croissance : les perturbations liées aux gilets jaunes pourraient coûter 0,1 point au PIB sur le quatrième trimestre 2018.

Un Black Friday gâché pour les centres commerciaux

Plusieurs groupes de la grande distribution ont dû fermer certains hypermarchés les jours de manifestation. Parmi eux, Les Mousquetaires (Intermarché) et E. Leclerc, mal récompensé de ses prises de position en faveur du pouvoir d’achat des Français… Selon la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD), les ventes des hypermarchés français ont ainsi diminué de 15 à 20% le 8 décembre, notamment à cause des blocages des entrepôts des magasins.

Les ennuis sérieux ont débuté le 23 novembre pour les centres commerciaux, mobilisés pour le Black Friday. “En 2017, la fréquentation des centres commerciaux avait enregistré une hausse de plus de 8% et l’on pouvait s’attendre à une augmentation encore plus significative cette année. Malheureusement, le mouvement des gilets jaunes a produit l’effet inverse avec une baisse de 9% sur l’ensemble du week-end dont -15% le samedi" 24 novembre, déplore dans un communiqué le CNCC (Conseil National des Centres Commerciaux).

Explosion des commandes e-commerce pour certaines enseignes

Est-ce que les difficultés dans les magasins se sont traduites par un report vers le commerce en ligne ? Les plateformes ne communiquent pas toutes sur leurs ventes. Le succès de Rakuten (ex-PriceMinister), l’un des rares à publier ses chiffres, n’est en revanche pas passé inaperçu. Le site de e-commerce est le 15ème le plus visité en France (au deuxième trimestre 2018). À BFMTV, l’entreprise révèle avoir enregistré le samedi 8 décembre une progression des commandes de 65% par rapport à la même journée en 2017. Selon elle, cette croissance s’explique certes par la croissance du e-commerce en France mais aussi par l’impact du mouvement social.

Sur le terrain, le constat est partagé par les spécialistes de la livraison. Notamment par Deliver.ee, une start-up française qui a développé une solution SaaS pour aider les enseignes à déployer et piloter leur service de livraison rapide. “Je me suis entretenu avec les enseignes clientes avec lesquelles je travaille. Elles ont constaté une explosion des commandes e-commerce, au départ des entrepôts. Les courses de Noël ont commencé et les gens achètent leurs cadeaux quoiqu’il arrive”, explique à L’Usine Nouvelle Michael Levy, PDG et fondateur de Deliver.ee.

"Pas d'impact majeur" chez Amazon ?

Amazon, Cdiscount et Ventes-Privées sont les leaders du secteur en France mais restent très discrets sur leurs chiffres. Du côté d’Amazon, on reste officiellement mesuré sur un éventuel effet report alimenté par les manifestations. “Le mouvement des gilets jaunes n’a pas d’impact majeur sur nos activités”, commente simplement un porte-parole du groupe. “Comme à l’accoutumée, les fêtes de fin d’année demeurent une période de forte activité pour nous”, ajoute l’entreprise qui recrute quelque 7500 intérimaires sur la période pour gérer le surcroît de ventes.

Lorsque nous communiquons la déclaration d’Amazon au PDG de Deliver.ee, celui-ci s’avoue étonné. D’autres commentateurs se sont méfiés de cette pudeur. En effet, il serait peut-être malvenu pour Amazon de se présenter comme le “grand gagnant” du mouvement des gilets jaunes alors que les commerçants critiquent l’inégalité des taxes entre les sites en ligne et les magasins physiques. D’autant plus qu’une taxation des GAFA dès 2019 est dans les tiroirs du gouvernement.

"Le climat n'est pas favorable à la consommation"

Le constat d’Amazon est néanmoins partagé par la Fevad, la fédération e-commerce et vente à distance. "Nous ne sommes pas dans le négatif mais le climat n’est pas favorable à la consommation. Nous sommes moins touchés que le commerce physique mais nos adhérents [...] notent moins de consommation", explique à Ouest France le délégué général de la Fevad, Marc Lolivier.

Au-delà de l’effet report, il y aurait donc aussi un frein psychologique à l’achat. Le Conseil National des Centres Commerciaux parle ainsi d’une “rétention de consommation en réaction aux images de violence du week-end.”

Des échecs de livraison à cause des manifestations

Côté transporteurs routiers, le constat est plus complexe. On pourrait penser que les transporteurs et les livreurs du dernier kilomètre ont profité d’un report sur le e-commerce. Par ailleurs, les principales journées de mobilisation ont eu lieu le samedi, un jour de la semaine où leur activité est moindre.

Malgré tout, les entreprises de transport routier de marchandises et de logistique “subissent de plein fouet les effets des blocages et des barrages filtrants”, juge la Fédération Nationale des Transports Routiers dans un communiqué. Au 3 décembre, elle évaluait avec les autres organisations professionnelles des pertes d’exploitation de 400 millions d’euros dans le secteur.

Des difficultés également déplorées chez Deliver.ee. “Il y a eu deux cas de figure. Soit le magasin était fermé, tout simplement, et donc la livraison au départ du magasin n’était pas possible. Soit il y a eu des retards, des difficultés d’accès et donc des échecs de livraison”, décrit Michael Levy.

Centres commerciaux et transporteurs se sont prononcés pour l’élargissement du régime des ouvertures dominicales, en décembre et en janvier, afin de compenser le déficit de chiffres d’affaires lié aux blocages. Les deux semaines avant Noël risquent d’être décisives pour le secteur et les résultats du quatrième trimestre. Le 10 décembre, le président français Emmanuel Macron a annoncé une série de mesures pour tenter de répondre à la colère des gilets jaunes. Si le mouvement s’apaise, les commerçants et les transporteurs peuvent espérer un rattrapage sur la fin de l’année et le mois de janvier.

Source : Usine Nouvelle