Concorde, l'impossible succession

Publié le 04/03/2019

Cinquante ans après le premier vol du supersonique franco-britannique, le ciel est bouché pour des descendants qui restent trop bruyants.

Le 2 mars 1969, il y a 50 ans, le projet franco-britannique Concorde devient une réalité. Il réalise son premier vol avec André Turcat et son copilote Jacques Guignard, le mécanicien navigant Michel Rétif et l'ingénieur Henri Perrier. Ce vol inaugural a lieu un dimanche, car toute la semaine à Toulouse a été perturbée par le brouillard ou le vent d'autan. Il faut attendre le 1er octobre suivant pour que le bel avion acquière ses lettres de noblesse « supersoniques » atteignant Mach 1.05. L'équipage de Jean Pinet ne s'en aperçoit – presque – pas et se permet de provoquer l'arrêt d'un des quatre moteurs pour constater que le comportement en vol reste sain même après une panne. Treize mois plus tard, Mach 2 est atteint au cours du 102e vol. Cette même année 1969, Boeing lance le jumbo B747, dont on connaît le succès dans le transport de masse. On assiste aussi à la naissance d'Airbus. Un millésime prolixe.

Comme le raconte André Turcat dans son livre Concorde paru au Cherche Midi, l'histoire du supersonique n'a pas été un long fleuve tranquille. Les premiers vols commerciaux du supersonique de 100 sièges aux couleurs des deux seules compagnies clientes Air France et British Airways n'ont débuté qu'en 1976. Sept ans d'essais en vol à Toulouse et à Filton avaient été nécessaires avec six appareils. Récemment, l'A350 n'a demandé que dix-huit mois de tests…

À l'arrêt des vols en 2003, Concorde avait transporté 4 millions de passagers, essentiellement à destination de New York depuis Paris ou Londres. La baisse du nombre de voyageurs depuis l'accident de Gonesse le 25 juillet 2000 puis les attentats de 2001, le coût élevé de maintenance et la facture carburant ont eu raison de l'appareil qui permettait aux voyageurs d'atterrir à JFK avant l'heure de leur départ...
Un avion sans descendance

Le transport de passagers à Mach 2 s'est donc arrêté à l'été 2003 sans solution immédiate de rechange. Si une décision de lancer un programme avait été prise immédiatement, dix ans, au moins, étaient nécessaires pour y parvenir. Dans la chronique des sciences et des techniques, c'est une triste première. Du jamais-vu aussi dans l'histoire de l'homme, où un progrès chasse l'autre : la locomotive à vapeur a été remplacée par des machines diesel ou électrique, Internet a eu raison du Minitel et les porte-plume ont cédé la place au stylo à encre puis à bille.

La mise à la retraite de Concorde avait certes été prévue pour cette première décennie du XXIe siècle. Car aucun avion n'est immortel, et rares sont les avions de transport qui dépassent trente ans d'activité. D'autres avions de l'époque ont déjà été sortis du ciel. C'est le cas, par exemple, de la première génération de Boeing 747-100, retirée des flottes à peu près au même âge, même si le Jumbo continue de voler grâce à de nouvelles versions.

Mais les enfants de Concorde sont, eux, toujours restés au stade d'avant-projets de bureau d'études. Pourtant, techniquement, on peut rêver d'un avion volant à Mach 3 et même à Mach 8. Hors coût financier, l'exploitation de tels appareils se heurte à un véritable casse-tête calendaire avec des atterrissages à 3 heures du matin incompatibles avec les décalages horaires et les couvre-feux des aéroports.

Le Sonic Cruiser de Boeing annoncé en 2001, qui devait flirter avec le mur du son, comme le programme européen PERS développé par Aerospatiale Matra Airbus et le britannique BAE Systems au début des années 90 ont tous été abandonnés en raison des coûts de développement et de recherche trop importants. L'investissement serait de 50 milliards d'euros avec les normes actuelles de certification. Chez Airbus, on préfère mobiliser les énergies sur l'industrialisation de l'Airbus A350 et la nouvelle gamme A320.

En France, le bureau d'études de Dassault Aviation a maintenu un temps une cellule de veille technologique sur un projet de supersonique d'affaires. Le triréacteur Falcon, présenté au Salon du Bourget 1997, volerait à Mach 1.8 pendant 7 000 kilomètres et comporterait 8 à 10 places. Mais le moteur reste à trouver et l'avionneur est dans l'expectative.

Bang et moteurs

Le bruit et les moteurs sont aujourd'hui les deux principaux obstacles techniques au développement du supersonique avec les problèmes dérivés comme la consommation et la pollution. Aussi, la majorité des experts considère que les projets en cours sont irréalistes et parfois même à la limite des fake news. Aucun des futurs supersoniques n'a les dimensions de Concorde. Au mieux, on arrive à la moitié de sa taille.

Les instituts scientifiques, que ce soient l'Onera en France ou la Nasa aux États-Unis, signent bien des accords de coopération, mais n'avancent pas réellement sur la réduction de ce bang qui salue bruyamment le passage du mur du son. Aucune solution aérodynamique n'est avancée à ce jour. Rendre acceptable le bang par les populations survolées est une voie explorée par l'industrie américaine : dans toutes les réunions internationales ou onusiennes comme celle de l'aviation civile internationale (OACI), un puissant lobbying américain tend à faire admettre de nouvelles normes de certification permettant de faire voler des avions supersoniques de transport. Le Congrès a incité la FAA, l'aviation civile américaine, à œuvrer dans ce sens. Elle va donc publier cette année des normes de bruit et des procédures pour les essais en vol. Si le survol des océans pose peu de problèmes, celui des continents lève de fortes oppositions.

Quel moteur pour voler à Mach 1, voire Mach 2 ? Concorde avait bénéficié de développements faits pour le bombardier britannique Avro Vulcan. Ce type d'avion militaire lourd (90 tonnes) n'est plus à l'ordre du jour. Le Rafale (20 tonnes), l'Eurofighter (21 tonnes) ou le Saab Gripen (16 tonnes) demandent des moteurs moins puissants, mais peu adaptés à une exploitation civile. Le moteur doit être efficace aux vitesses subsoniques jusqu'au bang puis aux vitesses supersoniques avec des lois aérodynamiques qui changent. Au décollage et en montée, le bruit de ces réacteurs est élevé. La consommation en carburant est considérable, tout comme la pollution.
Les projets de supersoniques en présence

Des projets plus ou moins crédibles existent pourtant pour prendre la relève de Concorde. Nous les avons listés.

Aerion

Après Airbus puis Lockheed Martin en 2017, Boeing a annoncé il y a quelques jours avoir signé un partenariat avec Aerion. L'investissement, « significatif », viserait à accélérer le développement technologique et la conception de l'appareil en fournissant l'ingénierie, la fabrication et les moyens d'essais en vol afin de certifier le jet d'affaires Aerion AS2 conçu pour voler à Mach 1.4, soit à près de 1 600 km/h. La présence de Boeing, qui ne s'est jamais intéressé à cette taille d'avion, laisse penser que l'avionneur de Seattle cherche plus à acquérir des technologiques innovantes qu'à ajouter un appareil à sa gamme.

Ce jet d'affaires, dont le projet remonte à 2003, doit transporter 12 passagers. Avec Mach 1.4, moins rapide que le Concorde (Mach 2.2), il sera capable de couvrir une plus longue distance : 8 700 km, soit 2 500 de plus que l'avion franco-britannique. Il devrait être mis en service en 2025. Son prix : 150 millions de dollars. Flexjet en a commandé 20. La société a dévoilé le turboréacteur destiné à motoriser l'appareil, le GE Affinity. Un prototype de ce moteur faisant appel à des éléments du CFM56 (Safran-GE) équipant les A320 et les B737 est attendu en 2020.

Ce jet d'affaires doit transporter 12 passagers

Boom Overture

La communication de la start-up du Colorado en quatre ans d'existence va bon train. Tous les superlatifs sont utilisés pour qualifier le projet Boom. « L'appareil pourrait atteindre plus de deux fois la vitesse du son en volant à Mach 2,2 (2 335 km/h), ce qui en ferait l'avion civil le plus rapide de tous les temps . Vous pourrez aller dîner à Paris et revenir à New York, tout cela dans la même journée », vante Blake Scholl, son patron, venu exprès des États-Unis au dernier Salon du Bourget présenter son projet. À vrai dire, rien de vraiment nouveau, sinon des annonces qui n'en sont pas, par cet ancien d'Amazon, bon bonimenteur quand il faut faire l'historique de la vitesse, de la locomotive à vapeur à la fusée.

Certes, 76 de ces appareils Boom Overture de 55 passagers auraient été commandés par 5 grandes compagnies aériennes qui souhaitent, pour la plupart, conserver l'anonymat. On les comprend devant le manque de consistance du projet qui fait fi des contraintes de certification, de bang sonique et de consommation. Virgin Atlantic avoue en avoir réservé 10. Mais Sir Richard Branson, son patron, toujours prêt à s'enflammer pour les projets aventureux, commande souvent mais ne concrétise pas toujours. N'avait-il pas été le chantre de l'A380 aménagé comme un loft avec chambres et salles de jeux, avion auquel il a renoncé.

Fin 2017, Japan Airlines devient aussi actionnaire, avec un investissement de 10 millions de dollars et la commande de 20 appareils. Le tarif annoncé du Boom est de 200 millions de dollars pièce, soit le prix « généralement pratiqué » d'un Airbus A350 ou d'un Boeing 777. Mais le problème majeur vient des propulseurs, jamais évoqué par la start-up américaine. Or aucun réacteur existant ou en développement n'est capable de propulser un avion supersonique civil de cette taille. Il est prévu pendant deux ans de « définir le cahier des charges relatif à l'étude et l'évaluation du groupe motopropulseur ». En clair, la faisabilité est mise sur la table, mais toujours pas de projet de nouveau moteur ou de dérivé d'un propulseur existant. Pour tenter de faire sérieux, Boom annonce abandonner la postcombustion au décollage pour économiser du carburant et réduire le bruit.

Après avoir levé 33 millions de dollars pour un programme estimé à 20 milliards de dollars si tout va bien, les promoteurs de Boom prévoient de faire voler à Denver un prototype à l'échelle un tiers. Un bon piège à subventions et un miroir aux alouettes pour investisseurs naïfs. Le Baby Boom XB-1, biplace, « doit permettre de valider les choix technologiques du futur supersonique », annonce Scholl. Ce qui fait sourire les ingénieurs d'Airbus, de Boeing, de Dassault, de Lockheed Martin, etc., qui disposent depuis près d'un demi-siècle de ces études sur un avion de cette taille (Eurofighter, F-18, Rafale, F-16). Résultat : le bang produit par un biplace à l'échelle un tiers n'est pas transposable pour étudier celui d'un appareil de 55 places. Après les premiers tests du prototype XB-1, une mise en service en 2023 est pourtant annoncée pour la version définitive. Il volera à Mach 2,2 et reliera New York à Londres en trois heures quinze pour le prix d'un billet en classe affaires dans un avion classique, soit environ 5 000 dollars l'aller-retour.

Pas de projet de nouveau moteur...


QueSST X-Plane

QueSST – pour « Quiet Supersonic Technology » – est un démonstrateur pour étudier le bang supersonique. Lockheed Martin et la Nasa travaillent ensemble à réduire le volume du bang supersonique (90 décibels) à un simple bruit de portière de voiture. Si les attentes technologiques sont au rendez-vous, la réglementation interdisant aux avions de voler à plus de Mach 1 au-dessus des terres habitées pourrait changer. Son but est d'accumuler suffisamment de données pour que la FAA, l'aviation civile américaine, l'équivalente de l'EASA européenne, ainsi que l'OACI puissent établir à l'horizon 2025-2030 de futures réglementations relatives au transport supersonique. Limiter les ondes de choc est l'objectif. Les premiers tests, concluants, du prototype en modèle réduit ont eu lieu en septembre dernier dans les locaux de l'agence spatiale américaine. La Nasa estime qu'elle pourra faire voler un premier appareil grandeur nature équipé́ de sa QueSST en 2021.

Un prototype pour montrer que le bang ne fait pas tant de bruit.

Spike Aerospace S-512

Le S-512 de Spike Aerospace ressemble au Tupolev Tu-144 (l'avion civil supersonique russe des années 60, surnommé Concorsky). Comme pour le QueSST X-Plane, son concept vise à diminuer l'impact du passage du mur du son. L'appareil transportera une vingtaine de passagers de Londres à Hong Kong et de New York à Dubaï sans escale grâce à une autonomie allant jusqu'à 11 500 km. Ce jet privé à 100 millions de dollars sera commercialisé en 2023. Particularité, il est dépourvu de hublots, ce qui évite de renforcer la structure à chaque ouverture. L'extérieur est filmé par des caméras puis projeté́ sur des écrans dans la cabine.

Un avion dépourvu de hublots

Tupolev. Le président russe a récemment souligné qu'il était temps de se pencher sur la question de la conception d'un nouvel avion de ligne supersonique, tout en mentionnant le Tu-160, bombardier lourd modernisé. « Nous devons revenir aujourd'hui au transport de passagers super rapide, supersonique. Nous devons y penser », a-t-il déclaré.

Source : LePoint