«L’aventure a été merveilleuse» : l’épopée du Concorde racontée par Michel Rétif

Publié le 19/08/2019

Il y a cinquante ans, le Concorde, avion franco-anglais supersonique, effectuait son premier vol. L’ancien chef mécanicien navigant, Michel Rétif, 96 ans, dernier des quatre membres d’équipage encore en vie, était à son bord.

Trois jours, déjà, que Concorde attend pour décoller. Mais ce 2 mars 1969, la météo semble moins capricieuse, la France et le monde de l'aérien retiennent leur souffle. Le bel avion blanc, comme on le surnomme déjà, fruit de sept années de travail des constructeurs Sud Aviation pour la France et BAC pour l'Angleterre, doit effectuer son premier vol d'essai, là-bas, à Toulouse (Haute-Garonne), la capitale française de l'aéronautique.

Dans le cockpit, quatre hommes : André Turcat, le chef-pilote, Jacques Guignard, le copilote, Henri Perrier, l'ingénieur navigant et Michel Rétif, le chef mécanicien navigant. Cinquante ans après , seul Michel Rétif, aujourd'hui 96 ans, peut encore nous faire revivre cette journée historique. « Lors du premier vol Concorde, nous n'avions pas de peur, se souvient le nonagénaire, à la mémoire extraordinairement épargnée par le poids des années. Tout avait été répété des dizaines de fois sur simulateur. Nous savions précisément ce que nous devions faire. »
Le 2 mars 1969, le Concorde décolle pour la première fois pour un vol d’essai. AFP
Le 2 mars 1969, le Concorde décolle pour la première fois pour un vol d’essai. AFP

En bout de piste de l'aéroport de Blagnac, les quatre turboréacteurs de l'avion supersonique grondent. Si c'est le ciel du sud-ouest qui sert d'écrin au premier vol de Concorde, comme un clin d'œil à l'alliance franco-britannique, c'est un brouillard londonien qui enveloppe la ville rose depuis plusieurs jours. À 15h38, le Concorde s'élance, enfin, atteint la vitesse de 300 km/h et s'arrache de la piste.
Le système de refroidissement en panne

« J'avais les yeux sur les paramètres de vol, les moteurs, la température, raconte Michel Rétif. Et puis, Jacques Guignard a dit Y'a bon !. Le décollage était réussi. » Mais ce premier vol ne se déroule pas complètement comme prévu. « Avant le décollage, un des trois systèmes de conditionnement, en charge du refroidissement de la cabine, ne s'est pas mis en route et après plusieurs minutes de vol un second système de refroidissement est tombé en panne », détaille le chef mécanicien.
« Lors du premier vol Concorde, nous n’avions pas de peur » se souvient Michel Rétif. LP/Jean-Baptiste Quentin
« Lors du premier vol Concorde, nous n’avions pas de peur » se souvient Michel Rétif. LP/Jean-Baptiste Quentin

La température dans la cabine augmente alors brutalement. « Pour nous, l'équipage, c'était supportable mais pas pour les équipements, poursuit Michel Rétif. Ils ont besoin d'être refroidis. Nous sommes montés à 4 000 pieds (NDLR 1 219 m), nous avons fait notre virage au-dessus d'Auch (Gers) et André Turcat a décidé d'écourter ce premier vol essai. Il ne voulait pas prendre de risque. »
Le pilote a envoyé ses vœux à la mission Apollo

Dans le Concorde, l'équipage est préparé à toutes les situations, même à évacuer l'avion en plein vol. « Nous avions un casque et un parachute, confie l'homme qui cumule plus de 5 000 heures de vol sur une vingtaine d'avions différents. Il y avait deux trappes de secours, une à l'avant et une au milieu. » Au final, ce premier vol d'essai durera 42 minutes qu'André Turcat résumera simplement : « La machine vole, et elle vole bien ». « Moi, pendant ce temps, j'étais encore dans l'avion, sourit Michel Rétif. Je suis descendu en dernier, je devais faire la check-list. »

Le même jour, André Turcat en profite pour envoyer ses vœux de réussite aux trois astronautes de la mission Apollo 9 qui doivent décoller le lendemain pour tester le modèle lunaire qui sera utilisé quelques mois plus tard pour marcher sur la Lune . « Nous vivions une époque formidable, reconnaît l'ancien mécanicien d'essais. Plusieurs états voulaient un avion supersonique commercial. Il fallait être vigilant, nous savions que les Russes nous espionnaient. J'ai été un privilégié, j'ai eu beaucoup de chance. »
Un atterrissage un peu rude avec Pompidou à bord

Justement, pourquoi a-t-il été choisi pour participer au programme Concorde ? « Il semblait que j'étais bon », sourit l'homme de 96 ans, avec sa cravate bleue brodée d'un Concorde nouée autour du cou. Au total, Michel Rétif effectuera plus de 300 vols sur Concorde, dont le premier vol supersonique, le 1er octobre 1969. « On entendait l'écoulement de l'air, se souvient Michel. C'était la première fois que je volais à la vitesse du son horizontalement. J'avais déjà dépassé Mach 1 sur Vautour (NDLR Un avion de chasse) mais c'était en piqué. »

Le premier vol commercial de Concorde intervient en 1976 après plus de 5 000 heures de vol d'essai. « La phase de test s'est parfaitement déroulée, à l'exception de deux vols, confie le chef mécanicien. Par deux fois, on est passé pas loin de la catastrophe. » Ainsi, en 1971, alors que l'avion est encore en campagne d'essai, Georges Pompidou est le premier Président de la République à voler à bord du supersonique.

Il doit rencontrer son homologue américain, Richard Nixon, aux Açores. « Mais au moment d'atterrir, on a traversé un énorme cum (NDLR nuage Cumulonimbus), raconte le nonagénaire. Nous avons été surpris par la proximité du sol et on a tapé fort. Mais le Président ne s'est aperçu de rien. »
Le crash en 2000 signe la fin de l'avion

Le second incident se déroule en pleine séance d'essais, à basse vitesse. « Notre travail, c'était de reproduire des pannes pour certifier l'avion, raconte Michel Rétif. Sur une manœuvre, Concorde est monté sur un angle d'incidence de 25 ° alors qu'il ne devait pas dépasser 20°. Nous avons commencé à décrocher. Le chef Turcat a poussé à fond et piqué. Ce jour-là, on a eu chaud. »

Le dernier atterrissage de Concorde se déroula le 26 novembre 2003, soit trente-quatre ans après avoir décollé de Toulouse par une après-midi brumeuse. Au total, vingt avions supersoniques furent construits.

Si l'avion n'a jamais été rentable à cause de sa consommation en kérosène, le crash d'un Concorde , le 20 juillet 2000, à Gonesse (Val-d'Oise), tuant 113 personnes, précipita la fin du bel oiseau.
Un Concorde d’Air France s’est écrasé le 25 juillet 2000 à Gonesse (Val-d’Oise) peu après son décollage. LP/Philippe de Poulpiquet
Un Concorde d’Air France s’est écrasé le 25 juillet 2000 à Gonesse (Val-d’Oise) peu après son décollage. LP/Philippe de Poulpiquet

« Cet accident n'aurait jamais dû avoir lieu, estime Michel Rétif. Cette lamelle tombée d'un avion de Continental Airlines qui a provoqué l'explosion d'un pneu est une erreur de maintenance. L'aventure Concorde a été merveilleuse, elle devait prendre fin, comme n'importe quel avion. Mais quel dommage qu'il n'est pas eu de successeur. »
La relève se fait attendre…

Effectivement, seize ans après la retraite du supersonique franco-anglais, aucun avion n'a pris la relève sur ce créneau. Il faut dire que les défis sont importants pour gommer les défauts du bel oiseau blanc qui ont conduit à son arrêt prématuré. Pour intéresser les compagnies et obtenir l'autorisation des Etats pour survoler leurs territoires, le fils de Concorde doit être moins gourmand en kérosène et plus silencieux quand il passe la vitesse du son, tout en étant respectueux de l'environnement. Par ailleurs, l'aérodynamisme de l'avion doit être aussi efficace à vitesse basse qu'à vitesse du son.

Deux projets sont un peu plus avancés. Le premier est l'Aerion AS2. Réalisé par la start-up américaine Aerion, en partenariat avec Boeing, cet avion serait capable de parcourir 8 700 km, soit 2 500 de plus que Concorde. Pour le reste, Aerion AS2 ne volerait qu'à Mach 1.4 contre Mach 2.2 pour Concorde et ne pourrait transporter que douze passagers contre 100 pour son illustre ancêtre. Le premier vol est prévu en 2023.

Autre projet, l'Overture, mené, là encore, par une start-up américaine, Boom Supersonic. Ses caractéristiques sont un peu plus proches de celles de Concorde. Une vitesse à Mach 2,2, capable de transporter 55 passagers et qui mettrait Sydney (Australie) à 6h45 de Los Angeles (Etats-Unis) contre 15 heures actuellement. Un programme à près de 18 milliards d'euros qui a déjà séduit une demi-douzaine de compagnies qui en ont commandé plus de 70 exemplaires mais qui laissent perplexe de nombreux observateurs qui attendent de voir le moteur qui équipera le supersonique. Sa mise en service est prévue au milieu des années 2020.

Source : Le Parisien