Télécoms : comment les opérateurs gonflent vos factures sans votre accord

Publié le 11/12/2019

VIDÉO. Free impose une option payante, Youboox One, à ses clients. Charge à eux de la résilier s'ils le souhaitent. SFR, Bouygues et Orange ne sont pas en reste.

On ne sait plus comment classer Free. Est-il toujours le trublion salutaire qui a fait baisser le prix des forfaits télécom fixe et mobile pour tous dans les années 2000 ? Ou est-il devenu un géant qui méprise ses abonnés ? Depuis le 6 décembre, on penche un peu plus pour le second. Qu'y a-t-il de pire, en effet, que d'augmenter le prix d'un abonnement en essayant de le cacher au client ? C'est bien ce que fait Free en faisant souscrire automatiquement à ses millions d'abonnés fixe et mobile (sauf les forfaits à 2 euros) l'option Youboox One, qui donne accès à 250 000 livres, BD et titres de presse pour 0,99 euro par mois, soit une augmentation de 2 à 10 % selon les forfaits. Cela permet à l'opérateur d'augmenter son revenu moyen par abonné (ARPU), l'indicateur économique le plus important pour le secteur.

Free est droit dans ses bottes : « Un message a été envoyé à tous les abonnés concernés, ils sont au courant », nous assure une porte-parole du groupe. Certes, mais quel message ! Son objet mentionne-t-il une augmentation de prix ? Non. L'email s'intitule « Information concernant le service Youboox One » : quand on n'a jamais entendu parler de ce service, on pense immédiatement à un spam. Si l'on ouvre le message, le gros titre est-il plus clair ? Non plus. « Vous allez prochainement profiter de contenus supplémentaires sur Youboox One ! » s'emballe Free. Il faut attendre la fin du troisième paragraphe pour trouver l'information essentielle : « Nous avons décidé de vous faire bénéficier automatiquement de ce service (…) à partir du 1er février 2020, pour seulement 0,99 euro par mois. » Affront ultime pour ses abonnés, Free met en gras cette partie du texte, alors qu'il eût été tellement plus facile de la mettre en titre pour qu'elle soit lue.

Une pratique légale

Si Free enrôle automatiquement tous ses clients, il rappelle que cette offre est « sans engagement ». « Chacun peut résilier l'option en un clic », assure la porte-parole. Il « suffit » de se connecter à l'espace client à l'aide de ses identifiants (des suites de chiffres et de lettres difficiles à mémoriser) fournis dans l'email de souscription reçu il y a des années, puis de cliquer sur « Gérer Youboox One » et enfin sur « désactiver ». Transposons cela à un autre acte d'achat : imaginons-nous dans un magasin qui ajouterait discrètement un article sur le tapis roulant lors du passage en caisse. Et si, par chance, nous nous en rendions compte, nous serions obligés d'aller le remettre en rayon, sous peine de le payer. La situation serait perçue comme scandaleuse, à raison.

Si cette pratique n'est pas illégale du moment que les clients sont prévenus, elle est franchement immorale. Elle est même contraire aux promesses de…Free ! En effet, la brochure tarifaire en vigueur à l'heure où nous écrivons ces lignes (le 9 décembre) précise que, « après le 31 janvier 2020, l'option Service Youboox One sera automatiquement supprimée des offres Free, sans intervention de la part de l'abonné ». « Cette brochure sera mise à jour avant le mois de février », promet-on chez Free. Mais ceux qui l'ont lue lors de la souscription de leur contrat n'en seront pas moins trompés.
Tous les opérateurs sont concernés

Du côté de Youboox, qui totalise un demi-million d'utilisateurs payants, la fondatrice Hélène Mérillon se dit « très heureuse » de la démarche de l'opérateur. « Free est libre de sa politique tarifaire, comme tous nos partenaires », explique-t-elle au Point, jugeant la méthode « assez transparente ». Selon le nombre d'abonnés de Free qui conserveront l'option d'ici à février 2020, Youboox pourrait se retrouver du jour au lendemain avec des millions d'utilisateurs actifs supplémentaires. « Nous saurons le gérer », promet la dirigeante.

L'opérateur de Xavier Niel n'est pas le seul à avoir recours à ces pratiques. SFR en use régulièrement et a, par exemple, commencé le 5 décembre à imposer son option « SFR Sécurité » dans certains forfaits, pour 3 euros par mois, avec là aussi l'obligation pour le client d'aller refuser l'augmentation de prix dans son espace client mais avec un délai de six mois pour le faire. Ces dernières années, Bouygues Telecom et Orange ont eux aussi joué avec ces petits arrangements de contrats. Parfois, l'augmentation est même obligatoire, sans qu'il soit possible de résilier un nouveau service, par exemple lorsque Bouygues a commencé à facturer la location de certaines Bbox pour 3 euros par mois.

Évidemment, ceux qui souffrent le plus de ces pratiques sont les clients fidèles, en particulier ceux qui ne surveillent pas leur abonnement ou leur compte bancaire chaque matin, au premier rang desquels les personnes âgées et les personnes vulnérables.

Le client vit dans l'angoisse

La conclusion de tout cela ? D'une part, il ne faut pas être fidèle ! Chaque année, il faut penser à changer d'opérateur pour profiter des offres d'appel (avec la portabilité des numéros et la résiliation effectuée par votre nouvel opérateur, c'est très facile). Et, d'autre part, tant que les opérateurs traitent leurs clients comme un algorithme financier le ferait, il ne faut pas leur faire confiance, et vérifier chaque centime qui leur est versé.

Alors qu'il paye, le client doit donc vivre dans l'angoisse, surveiller chaque mois ses factures à la recherche d'une option payante qui s'y serait glissée. Il doit lire consciencieusement chaque petit caractère de chaque message, au cas où cela le préviendrait d'une augmentation de tarif jamais consentie, et vérifier tous les mois que le prélèvement bancaire correspond au tarif pour lequel il a signé. Si bien que, de l'entreprise ou du client, on finit par se demander lequel est au service de l'autre.

Source : LePoint