Les Américains minutieusement traqués par leurs données

Publié le 30/12/2019

Le « New York Times » publie une grande enquête sur la géolocalisation millimétrée des téléphones mobiles et met en garde contre les dérives de leur utilisation.

« One nation tracked », une nation traquée, pistée, suivie. C'est le titre de cette vaste enquête publiée en plusieurs numéros par le New York Times. Stuart A. Thompson et Charlie Warzel, les deux journalistes à l'origine de l'enquête, ont eu accès à plus de 50 milliards de points de géolocalisation, qui concernent 12 millions d'Américains. Ces données ont été collectées en 2016 et en 2017 par des dizaines d'entreprises (notamment des applications). Ils décrivent des « mouvements précis » collectés par des entreprises qui ne sont ni des géants de la technologie ni des organisations gouvernementales, mais des entreprises spécialisées dont les noms parlent peu.

En épluchant ces données, les deux journalistes du quotidien américain ont pu identifier nombre de visiteurs dans les propriétés de célébrités comme Johnny Depp, Arnold Schwarzenegger ou Tiger Woods. Ils ont aussi retracé les déplacements d'utilisateurs passés par la Playboy Mansion, le manoir californien dans lequel s'organisent des parties fines. Plus inquiétant, la traque de cet utilisateur américain présenté comme un haut fonctionnaire à la Défense, présent dans la marche des femmes sur Washington, manifestation pour promouvoir les droits des femmes. L'officiel apparaît aussi au Pentagone, dans lequel la géolocalisation fonctionne tout aussi bien, puis dans une cérémonie avec le président Obama en janvier 2017. Ils ont également pu identifier des utilisatrices dans une clinique d'avortements ou suivre des policiers, chargés de réprimer une émeute, jusqu'à leur domicile.

Absence de réglementation

Ce que les journalistes du New York Times pointent du doigt, c'est l'absence de réglementation quant à la collecte de ces données si précises. Elles ne sont pas collectées par des géants du Web, mais par des entreprises spécialisées dont la plupart des Américains ne connaissent même pas l'existence. Puisqu'il n'existe pas de loi fédérale sur le sujet, ces entreprises se sont « largement appuyées sur l'autoréglementation », explique l'enquête. Ces données sont dans un premier temps utilisées pour de simples publicités ciblées. Mais elles peuvent servir par la suite à « une activité secondaire lucrative d'analyse et de transfert de ces informations à des tiers ». Los Angeles a poursuivi en justice The Weather Channel, application de prévisions météorologiques, qui se servait de ces données de localisation pour des fonds spéculatifs, ce qui a fait scandale aux États-Unis, « forçant les géants des télécommunications à s'engager » à ne plus vendre ces données à « des courtiers de données ». Mais, pour l'heure, aucune loi n'encadre la pratique.

Source : LePoint (https://www.lepoint.fr/societe/les-americains-minutieusement-traques-par-leurs-donnees-20-12-2019-2354299_23.php)