Ce que Jean-Paul Gaultier a apporté à la mode

Publié le 24/01/2020

À l'occasion de son dernier défilé haute couture, coup de projecteur sur les cinq éléments qui ont fait « la » signature du trublion français de la mode.

À 67 ans, celui qui a déjà fait ses adieux au prêt-à-porter en 2014 a annoncé que son défilé haute couture présenté ce mercredi 22 janvier 2020 au théâtre du Châtelet sera le dernier. Celui qui fit de son ourson en peluche son premier mannequin et confessa avoir rêvé son métier de couturier en regardant le film Falbalas de Jacques Becker est devenu au fil des années non seulement le trublion de la mode, mais aussi un de ses maîtres incontestés, inventant ses propres codes, qui permettaient à tous, de la cliente couture au grand public, de reconnaître immédiatement la signature Gaultier. De la marinière aux seins coniques, des jupes pour hommes aux jeux sur l'ethnique, le tout avec le sourire et un rien de sensualité dans l'air, retour sur cinq signes de reconnaissance de son style.

Défilé haute couture de l'été 2011.
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© PIERRE VERDY / AFP / PIERRE VERDY / AFP
1. Les rayures de marinière

De Jean-Paul Gaultier, on connaît surtout la marinière. Pas seulement parce qu'elle a habillé plusieurs de ses flacons à succès – tel Le Mâle (1995). Déjà en 1983, le créateur français intégrait cet essentiel à sa collection de prêt-à-porter homme « Toy Boy » et parvenait à se l'approprier. Revue et corrigée dans un esprit marin viril – vision nourrie par le film Querelle de Rainer Fassbinder, adapté du roman Querelle de Brest de Jean Genet, mettant en scène un personnage à la beauté envoûtante suscitant aussi bien le désir masculin que féminin – la marinière mâle selon Jean-Paul Gaultier s'épanouit dans un genre sensuel, entre remastérisation au-dessus du nombril et découpes. Chez la femme, aussi, le vêtement rayé rime avec séduction. En 1983, la collection prêt-à-porter femme « Dadaïsme » met en lumière des marinières hybrides, croisées avec un corset (autre pièce signature maison). De ces postulats de départ ont découlé de nombreux vêtements d'inspiration marine, dont on retiendra notamment une robe rayée en tricot haute couture s'achevant en plumes d'autruche, issue de la collection « Les Indes Galantes » (2000), une robe de naïade imaginée pour Marion Cotillard pour la cérémonie des Oscars en 2008, ou une série de vêtements masculins et féminins imprimés de tatouages maoris (motif cher au créateur). Enfin, la marinière c'est aussi Jean-Paul Gaultier en personne, immortalisé en 1990 par l'objectif de Pierre et Gilles dans une version mousse érotico-kitsch : cheveux platine en brosse, yeux cendrés levés au ciel, sourire éclatant, vêtu d'un top rayé et tenant un bouquet de marguerites dans les mains, façon jeune mariée ou première communiante.

Défilé Jean-Paul Gaultier pour la haute couture de l'été 2013.
© PIERRE VERDY / AFP
2. Les poitrines coniques

Rose saumon et satinée, la tenue de scène – un corset aux seins pointus – portée par Madonna lors de sa tournée « Blond Ambition Tour » en 1990 et signée par Jean-Paul Gaultier imprime la rétine. Elle est aussi synonyme de féminité exacerbée et érotisée – et, ironie du sort, de libération du corps des femmes. Dès 1983, Catherine Ringer, chanteuse vedette des Rita Mitsouko, arborait une version ivoire de la robe corset conique dans le clip « Marcia Baila ». Mais c'est avec la collection prêt-à-porter femme « Dadaïsme » de 1983 que le vêtement vit le jour sur les podiums de la maison, fusionnant esprit provocateur et imaginaire couture. Depuis, la pièce n'a plus jamais été dissociée du créateur français, et a été repensée à l'infini. Mémorable fut sa version en velours de soie orange, baptisée « seins obus », tirée de la collection « Barbès » (1984) – qui était également une référence à l'art bambara – ou la robe-corset couleur chair entièrement lacée de rubans dans le dos imaginée en collaboration avec Mister Pearl (alias Monsieur Corset) pour la collection haute couture 2001. À noter, également, la réincarnation en bouteille de parfum du corset conique avec le best-seller « Classique » (1993), qui finit d'intégrer cet élément à l'identité de la marque.

Défilé de prêt-à-porter hommes Jean-Paul Gaultier pour l'automne-hiver 1995.
© PIERRE VERDY / AFP
3. les jupes au masculin

Trois décennies avant l'heure de la fluidité du genre – qui fait rage sur les podiums masculins actuellement –, Jean Paul Gaultier précédait son monde avec le défilé « Une garde-robe pour deux » (1984) puis avec « Et dieu créa l'homme » (1985). Pièce maîtresse de cette deuxième collection, la jupe, arborée par des mannequins tout en épaules, fit à la fois scandale et sensation, et déconstruisit les clichés autour de la virilité. Si la réalité commerciale de la pièce se discute, notamment à l'époque, le succès d'image, lui, fut garanti. Et l'apparition d'un Jean-Paul Gaultier en pantalon-pagne à l'Élysée face à François Mitterrand – époque premier septennat – prolongea le buzz. Dans le même registre – et avec moins de retentissement –, Jean-Paul Gaultier fut aussi l'un des premiers à s'intéresser au maquillage masculin en 2003 en sortant une ligne de produits et soins pour homme, parmi lesquels un crayon khôl.

4. Une mode multiethnique

« Barbès », « Frida Kahlo », « Les rabbins chics », « Voyage-Voyage », « Le Grand Voyage », hommage à l'Ukraine et la Russie, la Chine et l'Espagne… Autant de collections qui en disent long sur l'importance des références ethniques et culturelles du monde entier dans la mode distillée par Jean-Paul Gaultier. Le créateur en a fait un élément de langage, qui se traduit stylistiquement par la remastérisation de costumes traditionnels, religieux ou de symboles culturels, entre manteaux taillés dans des drapeaux de l'Union Jack, kimonos japonais, boléros de torero revisités, minijupes faites de boubous africains, combinaisons deuxième peau jouant des tatouages maoris en trompe-l'œil, et, côté accessoires, via des ombrelles, colliers massaï, éventails andalous, et calottes au plateau arrondi en faux vison rappelant l'apparat des juifs orthodoxes. Au-delà du vêtement, avec Jean-Paul Gaultier, la beauté aussi s'énonce plurielle. En témoignent les castings métissés qui jalonnent ses collections et participent à l'élargissement des critères de beauté, et le choix de la Franco-Algérienne Farida Khelfa comme muse dès 1979.

Mylène Farmer en Jean-Paul Gaultier lors du défilé haute couture hiver 2011-2012.
© Jacques Brinon/AP/SIPA
5. La culture pop

Autre marqueur de style : la culture populaire infuse les collections de Jean-Paul Gaultier. Récemment, l'exposition « Mode et Bandes dessinées » qui se tenait à Angoulême consacrait un espace au designer mêlant Popeye, Wonder Woman, Spiderman ou Betty Boop. Des super-héros très présents dans la mode de Jean-Paul Gaultier (on se souvient de sa femme-araignée sortie de sa collection haute couture printemps-été 2003) et qui ont parfois illustré ses flacons de parfum. Dans un autre genre, en 1987, il n'hésite pas à dérouler une collection baptisée « La concierge est dans l'escalier » qui s'amuse du Paris populaire, ou, en 1992, une autre appelée « Casanova au gymnase », mettant en scène des hommes au physique de macho, pour la plupart moulés dans des tenues sportswear. On se souvient aussi de « Punk Cancan » en 2011, collection haute couture tissant des liens entre une Parisienne gouailleuse et une punk londonienne. En parallèle, les relations qu'il noue avec certaines vedettes participent aussi de cette esthétique. Impossible de ne pas penser à Yvette Horner et son accordéon, relookée d'un pull marin et d'une jupe à pois de la maison. Ni même à une autre rousse, Mylène Farmer, qu'il a souvent habillée sur scène et à qui il offrit en 2001 une silhouette – noire et sexy – de mariée pour le final de son défilé haute couture. À noter que chez Jean-Paul Gaultier le panel d'icônes aussi s'exprime pluriel, embrassant les époques et les styles, d'Amanda Lear à Conchita Wurst en passant par Madonna, Rossy de Palma, Valérie Lemercier ou encore Beth Ditto. Pour ne citer qu'elles.

Source : LePoint (https://www.lepoint.fr/art-de-vivre/ce-que-jean-paul-gaultier-a-apporte-a-la-mode-22-01-2020-2359217_4.php)