"L'Équipe", la vie sans sport

Publié le 04/05/2020

Compétitions virtuelles, rétrospectives, matchs de légende… Comment le quotidien sportif et la chaîne pallient l'arrêt des compétitions sportives.

« Une saison sans fin. » Le titre s'affiche en majuscules blanches à la une de L'Équipe, sur fond de nuages menaçants qui surplombent un Parc des princes désespérément vide. Une saison sans fin. Sans saveur. Sans coup d'éclat. Sans soirée pizzas et bières devant le classico OM-PSG. Sans finale en juin du Top 14 au Stade de France. Sans Euro de foot, ni Champions League, ni JO de Tokyo. Bref, sans sport. Le gouvernement d'Édouard Philippe a douché tous les espoirs d'une reprise des compétitions sportives en France avant le mois d'août. Le Tour de France et Roland-Garros restent en suspens, reportés à la rentrée. Après les annonces du Premier ministre, le directeur de la rédaction de L'Équipe, Jérôme Cazadieu, a parlé dans un édito de « cataclysme ». Comment vivre cinq mois sans sport ? Pas simple pour un quotidien et une chaîne de télévision qui vibrent en fonction de l'actualité sportive.

Le journal a dû se réinventer sur le plan éditorial. Il couvre les bouleversements de l'économie du sport, les calendriers chamboulés, et multiplie les grands récits. Tous les mercredis, il publie un portrait de « héros », tels cet infirmier ancien sportif de haut niveau ou cet ingénieur français de PSA Motorsport qui assemble des respirateurs. Il revient sur de grands moments sportifs, propose un programme de remise en forme avec des exercices à domicile et part à la rencontre de sportifs confinés. Renaud Lavillenie, ancien recordman du monde de saut à la perche et champion olympique en 2012, a reçu le journal dans sa maison près de Clermont-Ferrand, où il a installé un sautoir privatif. Les unes frappent fort. Comme celle du 24 mars dernier sur le report des Jeux olympiques, qui a coïncidé avec la mort d'Albert Uderzo. Le quotidien a obtenu l'autorisation des éditions Albert-René pour reproduire la couverture de l'album Astérix aux Jeux olympiques en y rajoutant l'année, 2021.

« Les compétitions sont arrêtées, mais le sport ne s'arrête pas vraiment. Il y a les sportifs, les institutions. La crise met également en lumière des conflits, des polémiques, des confrontations. Dans le football, par exemple, entre les présidents de Lyon et de l'OM, ou entre la Fédération française de football et la Ligue de football professionnel », fait valoir Jérôme Cazadieu.

280 000 abonnés numériques

Le clin d'oeil de L'Équipe dans sa Une, à la suite du report des JO à 2021 et de la mort d'Albert Uderzo. © Éditions Albert-René / L'Equipe
Depuis le début du confinement, le 17 mars, les 320 journalistes du journal se sont convertis au télétravail. L'Équipe continue à sortir tous les matins avec 24 pages minimum. « Au début de la crise, les ventes en kiosque ont baissé fortement avec l'arrêt de l'actualité sportive, la fermeture d'une partie des points de vente et le confinement général. Depuis, nos ventes n'ont cessé de progresser, nous avons ainsi regagné 20 % d'acheteurs sur la dernière semaine d'avril », indique Jean-Louis Pelé, directeur général du groupe L'Équipe. D'après les données de l'Alliance pour les chiffres de la presse et des médias (ACPM), L'Équipe a accusé en mars une chute de 14,6 % de sa diffusion France payée, à 199 407 exemplaires, contre - 2,42 % en moyenne pour les quotidiens nationaux.

Afin de la contenir, le prix du journal papier a été abaissé de 1,80 à 1 euro. Une offre d'abonnement numérique a été lancée au prix de 0,99 euro pour six mois d'accès à tous les contenus payants ainsi qu'au journal en PDF. Au-delà, le tarif reviendra à la normale, soit 9,99 euros par mois. L'Équipe est ainsi passé de 263 000 abonnés numériques avant le confinement à 280 000, seuil qu'il vient de franchir. Il revendique le titre de leader de la presse quotidienne nationale, devant Le Monde (225 000 abonnés numériques à la fin mars) et Le Figaro (175 000 abonnés à la fin avril). « Pour la partie gratuite du site, sur le mois de mars, nous sommes à environ 2,7 millions de visiteurs uniques quotidiens, avec des lecteurs fidèles, contre 3,2 à 3,3 millions en temps normal. Cela reste très bon », précise Jérôme Cazadieu. « Malgré l'absence de compétitions, poursuit le directeur de la rédaction, nous montrons qu'il est possible d'avoir des contenus forts sur tous nos supports. Si le sport reprend, notre attractivité sera évidemment plus importante. »

Baisse des audiences de la chaîne

Remplacé ce lundi 3 mai par Estelle Denis, Olivier Ménard animait "L'Equipe du Soir" seul sur le plateau. © GRANGIER STEPHANE / L'EQUIPE
Même problématique à la chaîne gratuite L'Équipe, disponible sur la télévision numérique terrestre. Pas de courses cyclistes italiennes, notamment le Milan-San Remo de la fin mars dont elle détient les droits de diffusion, ni triathlon, judo ou championnat du monde de hockey… Seules les confrontations de catch, retransmises sur la chaîne, continuent malgré la pandémie. Le canal avait dopé ses audiences en misant sur la retransmission des compétitions sportives en direct. Conséquence, la part d'audience de 1,6 % en février a baissé à 1,1 % en mars.

La chaîne a dû rebâtir à la hâte sa grille des programmes. Après deux semaines de pause, le talk-show L'Équipe du soir a fait son retour le lundi 30 mars. Du lundi au vendredi, de 18 h 30 à 20 heures, le présentateur Olivier Ménard, en alternance avec Messaoud Benterki et Benoît Cosset, anime l'émission seul sur le plateau. Estelle Denis lui succède à partir de ce lundi 4 mai. Les chroniqueurs, eux, restent confinés. Ils ont été équipés à leur domicile de caméras qu'ils actionnent eux-mêmes.

Matchs de légende, fictions et course cycliste virtuelle

« Le sport est riche dans sa façon d'être racontée, souligne Jérôme Saporito, patron de la chaîne. Il y a le direct et les compétitions sportives. C'est le plus fort, mais nous avons pris acte qu'il n'y en aurait pas pour un moment encore. Cela ne nous empêche pas de faire L'Équipe du soir pour débriefer l'actualité et de revenir sur les grandes épopées. » Comme Canal+ qui rediffuse le dimanche soir une sélection de grands derbys, les fans de ballon rond ont pu revoir quelques grands matchs de l'histoire : la demi-finale France-RFA du Mondial de 1982 (247 000 téléspectateurs), la finale de la Coupe de France PSG-Saint-Étienne en 1982 (228 000), la finale du Mondial 2018 ou encore le magnifique quart de finale France-Argentine. Il a fait carton plein, avec 560 000 fidèles devant leur poste le 31 mars dernier.

« C'est le côté patrimonial du sport, analyse Jérôme Saporito. À l'instar de TF1 qui rediffuse Mais où est donc passée la 7e compagnie... ou France 2 La Grande Vadrouille, la chaîne L'Équipe mise sur la transmission, le partage de tout ce passé qui a été extraordinaire. On a beau tous connaître la fin du film Le Corniaud, on a envie de la revoir. C'est pareil pour ces matchs de légende comme la demi-finale France-RFA en 1982. »

À défaut du Tour de Suisse, dont la tenue en juin a été reportée, la chaîne a diffusé cette compétition en mode virtuel. Rebaptisée « Digital Swiss 5 race series », elle a réuni sur 5 jours 19 équipes du peloton avec des coureurs français, dont Julian Alaphilippe et Romain Bardet, qui pédalaient devant des caméras sur un vélo installé à leur domicile. Si l'expérience a séduit moins de 100 000 téléspectateurs, contre 200 000 à 250 000 en général pour une épreuve cycliste, elle ouvre des pistes si le Covid-19 continue de perturber les compétitions. « On s'oriente normalement vers une reprise du sport à huis clos au mois d'août. On a construit une grille pour tenir jusqu'à cette date », indique Jérôme Saporito. Autre nouveauté : L'Équipe se lance dans la fiction. « Nous aurons deux à trois cases de fiction par semaine », annonce le patron de la chaîne. Première, ce mercredi 6 mai, avec le biopic La Dernière Échappée sur Laurent Fignon, interprété par Samuel Le Bihan.

Bien sûr, le groupe L'Équipe reste très impacté sur ses recettes publicitaires, comme TF1 et M6 qui s'attendent à une baisse d'environ 50 % au deuxième trimestre. Le quotidien et la chaîne seront dans le rouge cette année. Mais l'actionnaire, la famille Amaury, soutient le groupe. Et la direction se veut rassurante.

« Cette crise est certainement la plus importante de l'histoire de notre groupe, l'impact économique sera réel. Pour autant, nous avons montré notre capacité à produire chaque jour des contenus hors événements sportifs, des enquêtes, des reportages plus sociétaux… Nous capitaliserons sur cette expérience pour enrichir notre offre dans le futur », assure le directeur général, Jean-Louis Pelé. Les reprises de certains championnats européens de foot, en juin, et la prochaine ouverture du marché des transferts des joueurs devraient redynamiser l'actualité sportive. Et donc L'Équipe.

Source : Le Point