L’expérience client post-COVID-19 : la revanche du digital

Publié le 18/05/2020

Par Alexandre Gervais Directeur Expérience Digitale Europe chez Technomedia, une division de Mood Media.

La crise engendrée par le COVID-19 est exceptionnelle par son ampleur et sa durée. Et pourtant comme toujours dans les périodes troublées, c’est aussi un moment où la créativité des distributeurs n’a jamais été aussi forte. L’intégration à marche forcée du digital et la refonte des parcours clients accélèrent le développement de nouveaux modèles de magasins. Le succès des enseignes à la stratégie omnicanale en est un bon indicateur. Si les consommateurs ont acquis de nouveaux réflexes et modes d’achat, les marques digitalisées démontrent la pertinence de leur modèle , on pense par exemple à Nike et à ses 30% de croissance des ventes en ligne au T1 2020 en Chine malgré le confinement. Autre exemple, le succès du distributeur Target, qui a, il y a 3 ans, revu sa supply chain et sa plateforme de livraison après avoir racheté des pures players spécialisés. Target a annoncé pendant la crise une croissance numérique record dépassant 100%, une forte fréquentation en magasins et des gains de parts de marché. Autre acteur à avoir tiré son épingle du jeu, Walmart (à la date du 5 avril 2020), l’application Walmart Grocery a enregistré une croissance de 460% des téléchargements quotidiens moyens, par rapport à ses performances de janvier 2020. De nombreuses enseignes se sont mobilisées et luttent au quotidien pour imposer des formes de shopping compatibles avec les contraintes imposées par les mesures sanitaires et l’inquiétude des consommateurs. Nous nous proposons de faire le tour des initiatives qui nous ont semblé les plus marquantes autour de trois points clés.

1- Le développement de dispositifs au service de la confiance

Les clients ont besoin d’être rassurés quand ils font leurs courses, nombreuses sont les enseignes à avoir utilisé le digital pour les aider à avoir obtenir ce regain de confiance des consommateurs.. Ainsi, des distributeurs ont commencé à mettre en place des caméras qui permettent de mesurer et de garantir le respect des distances de sécurité. Ce type de caméra peut suivre en temps réel les emplacements des acheteurs et annoncer un message lorsqu’il détecte trop de personnes dans une zone surveillée. Le distributeur Kroger a également récemment fait la une des journaux en annonçant qu’il utiliserait ce type de technologie pour limiter le trafic en magasin (à seulement 50% de sa capacité) grâce à un système qui utilise des capteurs infrarouges et des analyses prédictives pour surveiller les flux clients.

Autre élément à prendre en compte, l’affichage numérique. Il peut jouer de nombreux rôles en points de vente en limitant le nombre d’interactions avec les vendeurs et en permettant une bonne information des clients, notamment quant à la disponibilité des produits et les dates de péremption. Il permet aussi d’aider les clients à bien s’orienter dans des magasins où très souvent des règles de circulation nouvelles ont été mises en place pour leur permettre de rester moins longtemps dans le magasin. Il permet enfin de relayer les messages importants de l’enseignes sur les mesures mises en place et celles prises pour la sécurité des employés.

Certains pays comme le Japon ont fait preuve d’une créativité particulière pour lancer de nouveaux dispositifs sans contact qui pourraient inspirer les enseignes. Ainsi parmi les nouvelles technologies qui ont été déployées, on trouve ce que les fabricants d’ascenseurs Fujitec qualifient d ‘« ascenseurs à hygiène publique améliorée ». Lancé début avril, ce modèle est livré avec une fonction de panneau sans contact supplémentaire qui exploite la technologie de capteur infrarouge pour détecter l’étage de destination d’un utilisateur lorsqu’il passe la main sur le tableau de bord. Ce modèle intègre des boutons avec un traitement antibactérien et un indicateur de congestion qui montre le niveau de remplissage de l’ascenseur pour aider les utilisateurs à prendre en compte la distance sociale”, une approche intéressante qui peut être déclinée dans les magasins, à l’intérieur ou à l’extérieur. D’autres entreprises comme Nec développent des systèmes de reconnaissance faciale pour le paiement en magasin n’obligeant plus les clients à retirer leur masque, le système devrait être lancé d’ici septembre.

À côté de ces innovations pour offrir une expérience d’achat sans contact à leurs clients, d’autres marques ont recours aux robots. Des enseignes comme Schnucks Markets et Giant Eagle utilisent des robots en magasin pour faire un état des stocks. Le robot, à l’aide de caméras et doté d’une intelligence artificielle peut identifier les prix, le placement de produit et la disponibilité. Il peut également identifier les articles en rupture de stock ou égarés. Le fait d’avoir un robot qui gère ces tâches maintient les travailleurs hors des allées des magasins et permet aux supermarchés de maintenir plus facilement les mesures de distanciation sociale.

2- Le sans-contact est devenu incontournable

C’est le grand gagnant de la digitalisation de l’expérience client. On peut ainsi imaginer l’expérience type en point de vente type : les clients entrent, prennent un caddie avec des sacs, sortent leur téléphone, numérisent les articles et les mettent en sac pendant qu’ils font leurs achats, se rendent auprès d’un vendeur à l’intérieur d’une cabine de plexiglas sûre et protectrice près de la sortie, montrent à l’employé du magasin leurs achats numériques listés par le biais de QR codes, et repartent. Selon l’enquête de Shekel, la majorité (87%) des acheteurs déclarent qu’ils préféreraient faire leurs achats dans des magasins proposant des options de paiement automatique sans contact. Le développement de différents types de paiement sans contact voire la disparition possible des caisses devient une hypothèse qui risque de se concrétiser très vite. Fujitsu développe un système d’authentification et de paiement multi-biométrique sans contact. La marque s’est associée au distributeur de proximité Lawson pour ouvrir un point de vente dans son bureau de Shin-Kawasaki Technology Square sans caisse sur un modèle un peu différent des boutique Amazon. Les clients enregistrés effectuent des paiements en utilisant la technologie via l’authentification des veines des paumes et la reconnaissance faciale… Des caméras sont utilisées pour suivre les mouvements des clients en magasin et des capteurs de poids identifient les produits qui sont pris. Le paiement est automatique lorsque les clients partent.

Au-delà du paiement, les technologies sans contact s’imposent tout au long de l’expérience client, en ligne ou en magasin. Un très bon exemple de l’excellence de ces dispositifs est la chaîne de magasins américains de pneus Associated Tire Stores. Dans ces magasins, pendant le confinement, les vendeurs, tablettes numériques à la main, accueillent les clients lorsqu’ils entrent sur le parking et récupèrent leur liste de course pour s’en occuper eux-mêmes à l’intérieur du magasin, leur évitant de quitter leur voiture. Il y a plusieurs années, la société a déployé une application que les clients peuvent utiliser pour acheter des pneus et, fixer des rendez-vous. Ils peuvent également accéder à l’historique d’entretien de leur voiture, ils peuvent ajouter ou supprimer des véhicules, ils peuvent recevoir des notifications par SMS lorsque leur voiture est terminée, ils peuvent payer via l’application et s’ils rencontrent des problèmes en route, ils peuvent demander via l’application à un chauffeur de venir les chercher. L’intérieur des magasins ne comprend pas de présentoirs de pneus traditionnels. Les vendeurs et les clients accèdent aux informations sur les pneus via plusieurs écrans bien en vue. La marque propose aussi des options de livraison ou de retraits en points de vente.

3- Les impératifs de l’omnicanal : la gestion des stocks, la livraison et le contact permanent

La question de la logistique et la maîtrise des stocks est crucial à un moment où les clients ne peuvent pas être déçus en ne trouvant pas leurs produits en magasin quand ils connaissent ses disponibilités possibles en ligne. Les distributeurs doivent investir dans une supply chain qui non seulement offre une visibilité sur les stocks en cours mais peut également simuler les ventes futures et optimiser les réseaux de livraison et l’inventaire en temps réel. Ces systèmes peuvent également y associer les préférences des consommateurs, la météo, etc., et permettre la visibilité des stocks en temps réel à travers les magasins.

Autre nécessité : rendre plus fluide la livraison. Certaines marques, notamment textiles, qui n’ont jamais fait de livraison ni offert la possibilité de retirer les commandes se sont lancées pendant la crise. Ainsi, le 24 avril dernier, l’enseigne française Kiabi a lancé le premier click and drive textile, conçu et développé en seulement 15 jours. Cette innovation est née du constat que les Français ont toujours envie de consommer et surtout de s’habiller, notamment les enfants qui grandissent vite pendant un confinement de plusieurs semaines. Face à la saturation des services de livraisons, la marque familiale a décidé d’agir en lançant un drive avec un retrait sans contact au bout de 48 heures. Le 1er test concluant a eu lieu dans trois sites de la région Nord. Puis, le système a été étendu à d’autres régions. D’autres marques ont eu ce type d’initiatives comme les parfumeries Passion Beauté et les magasins de sport Intersport. D’autres initiatives sont intéressantes comme celles de la marque de sport Décathlon qui a fait un partenariat avec le distributeur alimentaire Franprix pour offrir des articles de sports « essentiels » dans leurs magasins.

D’autres marques, notamment en Asie, ont misé sur des méthodes de livraison robotisées et par drones. La crise a en effet accéléré les tests et le développement des livraisons autonomes. Aux Etats-Unis, des robots permettent des petites livraisons, la société Starship a ajouté un service de livraison d’épicerie à Washington, DC fin mars et s’est étendu à Irvine, en Californie. Il a également étendu sa zone de service à Milton Keynes, au Royaume-Uni, où il opère depuis 2018. Les robots de la société effectuent des livraisons dans cinq pays.

Enfin, le dernier impératif des marques omnicanales est de garder un lien permanent avec leurs clients, voire même leur communauté de clients ! Pour cela, il suffit de regarder sa boîte mail pour constater à quel point les marques sont créatives. Une initiative nous a paru particulièrement forte pour garder et entretenir un lien en ligne : les restaurants partageant leurs secrets de cuisine. La Cheesecake Factory a mis en ligne des recettes pour certains de ses plats emblématiques, y compris ses crêpes au citron-ricotta et les pâtes Jambalaya. Olive Garden a mis en ligne sa sauce alfredo et son parmesan de poulet. Travel Texas a lancé une série de vidéos qui sont diffusées en direct sur «Taco Tuesday», mettant en vedette une sélection des chefs les plus connus de l’État. Même la Reine d’Angleterre a partagé une recette du pâtissier royal le jour de son anniversaire en ligne !

Le digital a aujourd’hui pénétré tous les types de magasins et d’enseignes de multiples façons. Une seule technologie ne s’est pas révélée très utilisée pendant cette période, il s’agit de la réalité augmentée. On aurait pu imaginer un développement fulgurant et une utilisation forte de la part des pure players. Finalement non, peut-être parce que rien ne remplace l’expérience vécue IRl (in real life) ou parce que la réalité virtuelle ne peut vraiment s’ancrer que dans une réalité physique ?

Source : Siècle Digital (https://siecledigital.fr/2020/05/14/lexperience-client-post-covid-19-la-revanche-du-digital/)