Chez Accor, « les données sont l'or blanc du digital »

Publié le 29/07/2020

Transformation digitale : En dépit de la crise sanitaire de la Covid-19, qui a durement affecté le secteur du tourisme, le leader de l'hôtellerie français doit continuer d'assurer sa transition numérique et miser sur la data pour fidéliser sa clientèle.

La crise sanitaire engendrée par la pandémie de Covid-19 a fortement ébranlé le secteur du tourisme et du voyage, et par ricochet, l'hôtellerie-restauration, sans qu'il soit possible d'envisager un retour "à la normale" dans un futur proche. Alors que l'année 2020 s'annonçait porteuse de bonnes nouvelles pour le déploiement de la stratégie numérique du groupe Accor, voici que le leader français de « l'hospitalité augmentée » doit diminuer la voilure et repenser ses priorités stratégiques.

En mars dernier, il enregistrait une baisse historique de son chiffre d'affaires, de 60 %. Alors que le groupe Accor s'apprête à publier ses résultats semestriels, il s'attend aussi à couper dans son budget IT. « Avant d'investir massivement sur des nouvelles technologies, que nous avons bien en tête et sur lesquelles mes équipes travaillent déjà, nous devons passer le pic de la crise économique », explique Maud Bailly, Chief Digital Officer, en charge du digital, de la distribution, des ventes et des systèmes d'information du groupe, à ZDNet.

« En décembre, nous étions très fiers de la trajectoire parcourue. Nous partions avec un sentiment de devoir accompli. Mais avec la crise, l'inimaginable est survenu. C'est en effet un choc sans précédent : lors des deux précédentes crises, en 2003 et en 2009, nous avions respectivement perdu 1,5 % et 12 % de notre chiffre d'affaires. En mars 2020, 3 000 de nos 5 000 hôtels ont dû fermer dans le monde. Au plus fort de la crise, à travers le monde nous avons dû licencier ou mettre en chômage partiel 65 % de l'ensemble de nos collaborateurs. Nous avons aussi massivement basculé en télétravail, qui reste encore aujourd'hui la règle », rappelle Maud Bailly.

Consolider et protéger les acquis

Malgré les difficultés inhérentes au secteur, Maud Bailly reste optimisme. « Je ne crois pas au grand soir, le monde d'avant va perdurer dans l'après-crise. En revanche, les clients vont chercher plus de sens, plus d'expériences. »

Même si certains projets ont dû être stoppés net, le groupe Accor entend bien maintenir à flot ses objectifs vitaux en termes de transformation numérique. Pas question d'abandonner certains projets économiques, rassure Maud Bailly, à commencer par la diversification des solutions de paiement, les intégrations, les actions en lien avec la sécurité et la compliance IT, ainsi que l'amélioration du système digital du programme de fidélité ALL (Accor Live Limitless).

« Nous sommes dans une période de frugalité, ce qui nous conduit à être dans une logique de consolidation et de protection de nos acquis », observe-t-elle.

Des services toujours plus digitalisés

Même si l'hôtellerie est et restera un univers avant tout physique, la reprise économique passera nécessairement par l'accès à des services plus digitalisés, par respect des gestes barrières et des mesures sanitaires en vigueur dans les établissements, soutient la CDO et membre du Comex du groupe Accor. « Dans le cadre de la crise sanitaire du Covid-19, on sent une très forte attente en terme de digitalisation des points de contact qui ne sont pas créateurs de valeur. On va notamment accélérer sur la partie check-in/check-out à distance, et l'essor des points de paiement sans contact ».

« Nous sommes déjà très impliqués dans les réflexions autour de l'usage des technologies pour alléger le parcours client, le simplifier et le fluidifier. Nous sommes notamment en train de travailler sur de nouvelles technologies de paiement, adaptées aux marchés locaux », détaille Maud Bailly. Et la situation varie selon les territoires où le groupe est présent. « On n'a pas recours aux mêmes solutions de paiement selon les pays : au Brésil, la tendance est au paiement fractionné, tandis qu'en Chine, les solutions mobiles comme Alipay et Wechat Pay sont très répandues », illustre-t-elle, assurée qu'il va y avoir « un effet d'accélération des modes de paiement sans contact ».

Disruptions et diversifications

Cette digitalisation du secteur est nécessaire, quand on considère les deux vagues de disruption successives qui ont touché le secteur ces dix, quinze dernières années, analyse Maud Bailly. Les plateformes d'intermédiation sont venues récupérer des parts de gâteau les unes après les autres (Booking, Expédia, etc.) suivies par les acteurs du "private rental", incarnés par Airbnb et consorts, qui ont bousculé les métiers en profondeur, poussant les acteurs traditionnels à se diversifier davantage.

Et cette évolution est d'ailleurs inéluctable, continue la CDO. « Depuis 25 ans, on observe que la demande croît plus vite que l'offre (+ 5 % contre + 2 %). Cela attire naturellement des pure players, qui veulent eux aussi se partager le gâteau. Rêver d'un monde qui ne serait pas disrupté n'est pas réaliste. Les disrupteurs d'aujourd'hui seront sûrement les disruptés de demain. »

En termes de diversification de marque, le groupe Accor est passé « de 13 à 40 marques en six ans », et attire aujourd'hui aussi bien de nouvelles marques lifestyle et luxe que de nouveaux acteurs, comme Onefinestay. « Nous avons diversifié nos produits et nos technologies afin de mieux répondre aux nouveaux usages proposés par Airbnb », reconnaît Maud Bailly.

Connaître ses clients, amasser la data

Elle constate, en outre, que le secteur est entré « dans l'ère de l'expérience personnalisée », dans « une logique d'écosystème ». Le « choc du digital » a ainsi permis de « fluidifier les échanges et de personnaliser davantage les expériences grâce à la data », explique-t-elle.

A titre d'exemple, Accor a lancé en janvier 2018 Accor Consumer Digital Card (ACDC), une base de données permettant à plus de 4 000 hôtels du réseau de partager les préférences de séjour de leurs clients. « ACDC est devenu un outil essentiel à notre stratégie de personnalisation, en nous permettant de créer des expériences sur-mesure de nos hôtels : votre journal préféré au petit-déjeuner, une attention spéciale lors de votre anniversaire, une offre d'utilisation de vos points en fonction de vos passions, le tout dans un respect total de la protection des données de nos clients. »

En parallèle, le groupe entend mener « une large réflexion autour des API et de la distribution gratuite », souligne la CDO. Le groupe hôtelier a dès lors finalisé sa migration cloud vers AWS, afin de déployer sa stratégie d'APIsation. Tous les outils et process sont donc à la fois sur AWS et Cloudera. « Le cloud, c'était la condition absolue pour faciliter l'usage de nos assets avec une data unique, propre, contrôlée et centralisée. »

Transformer l'organisation de l'intérieur

Pour la responsable de la transformation numérique du groupe Accor, la donnée deviendra « l'or blanc du digital ». D'autant plus « qu'il est essentiel – pour des raisons de souveraineté et d'intelligence économique – de rester propriétaire de notre data. C'est notre devoir d'anticiper la migration cloud, une architecture de data unifiée et le monde des API. Pour ça, il faut avoir une certaine culture digitale, quand bien même notre cœur d'activité n'est pas à proprement parler digital ».

C'est en effet toute une culture d'entreprise que la responsable de la transformation numérique espère bien apporter. « Il a fallu mener une vraie transformation culturelle au sein d'Accor, qui s'est par exemple traduite par la création d'une direction produit, le recrutement de talents dans le digital, la création d'une filière tech », liste Maud Bailly. Depuis son entrée chez Accor en avril 2017, elle a œuvré au lancement du nouveau programme de fidélité ALL, couplé à la refonte de tout l'écosystème digital du groupe en décembre 2019, avec une nouvelle application mobile, ainsi qu'un nouveau site web.

Parmi les technologies de rupture émergentes, Maud Bailly veut miser sur la reconnaissance faciale et la blockchain dans le secteur de l'hôtellerie. « Si ces innovations ne sont pas pour tout de suite, mon métier c'est aussi de savoir anticiper ces chocs digitaux pour les convertir en levier et les exploiter au mieux pour nos clients et nos hôtels le moment venu. »

Certains chantiers commencent à émerger autour de l'usage de l'intelligence artificielle pour booster le CRM. Toutefois, les véritables ruptures technologiques implantées aujourd'hui chez Accor concernent « l'usage de la data et l'outil ACDC », assure Maud Bailly.

Clarisse Treilles

Source : zdnet.fr