Hectar, Zesteur, Miimosa… La filière agricole accélère sa mue

Publié le 21/01/2022

Face aux enjeux climatiques, à la pollution et à une démographie grandissante, le monde agricole doit repenser un modèle qui s'essouffle depuis plusieurs années. Si les consommateurs et les institutions publiques ont leur rôle à jouer dans cette transformation, les entreprises et les entrepreneurs s’emparent aussi du sujet pour accélérer la mue.

Quel est le point commun entre l’EM Lyon, l’ISARA et le Village by CA ? Les trois structures se sont associées pour développer, Zesteur, un accélérateur de startups Agri-Food-Tech. Imaginé pour favoriser le déploiement des startups avant leur série A, son annonce intervient quelques jours après le lancement d’un fonds pour financer la transition des exploitations agricoles par Miimosa. Il y a quelques mois, c’est le campus Hectar qui sortait de terre pour participer à la transformation du secteur, de ses pratiques et du métier.

Si on ajoute à ces trois annonces, le rebond professionnel d’Emmanuel Faber – ancien PDG de Danone devenue investisseur chez Astanor Ventures – ou la liste de personnalités publiques qui investissent dans des startups de la FoodTech, on peut affirmer sans peine que l’agriculture, et bientôt l’agroalimentaire, vit une transformation majeure, portée par l’innovation technologique (outils, logiciels…), qui pourrait bien dessiner l’alimentation de demain.
Un environnement chamboulé

Au mois de décembre 2021, le lait de la marque « C’est qui le patron » devenait le plus vendu en France. En moins de 5 ans, la société, qui garantit une juste rémunération des agriculteurs, a réussi à se prendre une place de premier ordre à côté des industriels. Si l’annonce peut paraître anodine, elle témoigne des changements subis par la filière agricole. Et ce, à plusieurs niveaux.

Consommateurs. Les études se multiplient pour souligner l’intérêt grandissant des Français par rapport à leur alimentation. Si tous n’ont pas la possibilité d’acheter du bio, les consommateurs sont en quête d’aliments plus sains et plus respectueux de la planète comme en témoignent le succès des applications comme Yuka ou l’Eco-Score qui vient de fêter son premier printemps. Ce qui ne plaît d’ailleurs pas à tous les industriels du secteur dont certains ont engagé des recours en justice. Au coeur des envies des consommateurs : plus de transparence, une liste d’ingrédients réduite et des emballages moins néfastes pour la planète.

Secteur. Le monde agricole tel qu’on le connaissait il y a encore 20 ans ne peut plus être à part et ne pas prendre en compte les enjeux climatiques, environnementaux et sociaux. Interrogé en octobre dernier par Maddyness, l’ancien PDG de Danone Emmanuel Faber reconnaissait que les « systèmes alimentaires et agricoles d’il y a 70 ans sont dans une impasse » . Réussir à nourrir une population grandissante tout en s’adaptant à des changements climatiques rapides – chaleur, gel, inondations pour ne citer qu’eux – nécessite des changements de fond. D’autant que l’agriculture possède un potentiel important de capture du carbone (carbon farming).

Emmanuel Faber pointe également les enjeux de diversité des sols. « Je crois beaucoup à la façon dont la sélection variétale et la science peuvent aider à décupler le potentiel nutritionnel et l’efficacité environnementale des semences » , confie le néo-investisseur qui a rejoint les rangs du fonds belge Astanor Ventures.

Agriculteurs. Si le secteur peine encore à attirer, on observe un véritable changement au sein du monde agricole. « Les profils des agriculteurs de moins de 45 ans évoluent beaucoup. Jusqu’ici les exploitations étaient reprises par les filles ou les fils de. Mais dans les années à venir, un agriculteur renouvelé sur deux ne sera pas issu du cadre familial » , pointe de son côté Florian Breton, fondateur de Miimosa. Après un éloignement d’une partie des Français et des Françaises du monde agricole, certains et certaines optent pour un retour aux sources, dès leurs études ou lors d’une reconversion pour devenir paysans.

Marché. L’entrepreneur à la tête de Miimosa observe également une « diversification des business models qui se basent désormais sur la transformation des produits, la vente en circuit-court, le stockage de carbone, l’agriculture biologique ou encore les énergies renouvelables ». L’apparition des alternatives végétales à la viande en est un autre exemple à l’instar de la marque La Vie et son bacon végétal.
La technologie, allié de la performance et de l’environnement

Autre point essentiel sur lequel se rejoignent nos interlocuteurs : les agriculteurs sont de plus en plus connectés. « Si on regarde le passé, les agriculteurs ont toujours été technophiles, souligne Francis Nappez. Il y a vraiment tout un parcours à créer autour de la donnée, l’accès à cette donnée, la valorisation de la donnée et l’aide finale offerte aux agriculteurs ».

Loin d’être des gadgets, les solutions développées jouent sur plusieurs tableaux en favorisant le développement économique ou la gestion agricole des exploitations. L’incubateur Agritech des Fermes de Gally présentait en septembre NeoFarm dont le robot réussit à mêler agroécologie et tech avec pour ambition de réduire la pénibilité tout en limitant les intrants. Weenat propose ainsi des stations météo connectées et des outils de pilotage de l’irrigation et de l’anticipation du gel. De son côté, Karnott facilite la mutualisation du matériel entre agriculteurs.

Pas question pour autant d’y voir un solutionnisme technologique. « Il y a un prisme sur lequel nous ne voulons pas aller chez Hectar : la technologie comme remplacement, insiste Francis Nappez. Je n’y crois pas, il faut que ce soit les agriculteurs qui prennent la décision finale et pilotent leurs fermes. La technologie doit aider à augmenter la valeur directe ». Pour Florian Breton, la technologie, comme tout projet, doit ainsi faire l’objet d’un calcul de son impact environnemental.

Les startups de l’Agri.food.tech n’échappent pas aux difficultés de leurs consoeurs, tous secteurs confondus : réussir à se financer, tout particulièrement entre l’amorçage et la série A. Pour Cécile Rabaud, maire du Village by CA, « la tentation trop rapide d’aller chercher des fonds avant d’atteindre une certaine maturité dans son business model et son produit est souvent un échec. Les startups doivent d’abord travailler sur leurs objectifs, leurs ambitions, les engagements qu’elles vont prendre et éventuellement, réaliser les pivots nécessaires. C’est ce qui leur permettra de fixer les sujets prioritaires, de régler les problèmes » , avant d’aller chercher des financements.

C’est bien l’ambition du Zesteur, l’accélérateur d’Agri.food.tech de l’EM Lyon, de l’ISARA et du Village by CA. « Nous voulons proposer un diagnostic à plusieurs voix, avec le soutien de plusieurs partenaires » complémentaires qui possèdent des compétences et des réseaux sur la partie business, structuration d’entreprise mais aussi technique et agricole. Autre avantage de la structure, son double parcours. Les startups côtoieront des PME et des ETI du secteur afin de que ces dernières apprennent de l’agilité et des méthodes d’innovation des premières. Et que les jeunes pousses puissent mieux comprendre, s’insérer dans ce secteur et collaborer avec les sociétés déjà implantées qui utiliseront leur solution.

Le campus Hectar propose, lui aussi, un accompagnement aux nouveaux exploitants agricoles – pour les aider à se développer et penser des business model innovants- mais aussi un accélérateur pour faire évoluer les pratiques du secteur en aidant les AgriTech à se développer. Un choix qui ne plait pas à tout le monde, certains détracteurs dénonçant une vision « libérale » et « productiviste » de l’agriculture, selon notamment la Confédération paysanne.

Diversifier les sources de financement

De plus en plus de fonds, à l’instar d’Astanor Ventures ou Demeter, s’intéressent à ce sujet d’avenir. « Certaines levées de fonds sont devenues significatives du côté de l’AgriTech avec la réussite de série C. Mais en 2021, les startups en amorçage ont moins eu accès aux financements » , constate avec regret Jérôme Zlatoff.

Si l’AgriTech peut séduire les investisseurs, réussir à financer une exploitation agricole en transition est plus compliquée. À travers Miimosa, Florian Breton propose aux citoyens d’utiliser leur épargne pour financer – à travers des dons ou des prêts – des projets agricoles, B2C ou B2B. Le succès est au rendez-vous. En 6 ans d’existence, la structure a déjà permis de financer 5000 projets à hauteur de 70 millions d’euros dont 30 millions sur la seule dernière année.

La quête de rentabilité des investisseurs ne répondant pas aux besoins et au temps de la transition des exploitations, le système de Miimosa pourrait contribuer à hauteur de « 10 à 15% du financement de ces exploitations dans les prochaines années, contre 3% aujourd’hui, à coté des subventions, de la PAC et des crédits classiques » , projette l’entrepreneur.

Le crédit et les levées de fonds ne sont pas les seules sources de financement. Pour Jérôme Zlatoff, il ne faut négliger une autre voie : le corporate venture. “Certaines entreprises n’ont pas des metrics assez fortes pour arriver à réaliser une levée de fonds. Mais les startups peuvent être des pépites pour favoriser le développement de PME et d’ETI qui pourraient les racheter » .

La transition agricole n’est plus à discuter et les solutions pour favoriser son déploiement comme son financement seront sans doute multiples pour répondre à toute sa complexité et pousser les générations actuelles et à venir à s’en emparer.

Source : Maddyness