Avant Pâques, les chocolatiers s'adaptent tant bien que mal à la hausse des coûts

Publié le 13/04/2022

Après avoir traversé les turbulences de la crise sanitaire, les chocolatiers attendent Pâques avec impatience. Pas moins de 15.000 tonnes de chocolat sont vendues chaque année.

Plus que quelques jours avant l'arrivée du lièvre de Pâques. Tradition oblige, c'est plutôt le chocolat qui est attendu. Lapins, poules et canards pour les classiques, licornes ou dinosaures pour les plus originaux, sans oublier les fritures ou les traditionnels œufs fourrés au praliné: à Pâques, le chocolat, c'est sacré. Environ 15.000 tonnes sont vendues chaque année à ce moment-là. En tête, les moulages, les petits œufs et les confiseries qui représentent ensemble 75% des ventes en volume*.

Les fêtes pascales, en tant que telles, ne représentent que 5% du marché français du chocolat sous toutes ses formes - parce qu'il faut aussi compter sur les pâtes à tartiner, les tablettes ou le cacao en poudre qui sont vendus toute l'année. Mais pour les artisans chocolatiers et certaines entreprises, les PME en premier lieu, c'est un rendez-vous à ne pas manquer: le tiers voire la moitié du chiffre d'affaires peut être réalisé à Pâques, l'un des deux grands moments de l'année avec Noël.

Un confinement "catastrophique"

Dans le sud de l'Alsace, à Heimsbrunn, Abtey "ne peut pas rater Pâques", assure Anne-Catherine Wagner, à la tête de la société familiale. L'entreprise fonctionne sur un rythme saisonnier: c'est uniquement à Pâques et Noël que l'on retrouve ses chocolats dans les supermarchés un peu partout dans l'Hexagone. C'est plus de la moitié de son chiffre d'affaires qui est engrangé lors de ces deux pics de production. Au printemps 2020, le début du confinement un mois avant le jour J plombe l'activité de l'entreprise.

"Catastrophique", se rappelle Anne-Catherine Wagner. "Le confinement a commencé juste avant les achats de Pâques. On a eu énormément d'invendus", souligne la dirigeante d'Abtey, qui produit 1500 tonnes de chocolat par an et emploie 200 personnes en période de pointe. "Et si on rate Pâques, c'est trop tard, on ne peut pas rattraper".

Dans le monde du chocolat, le click-and-collect ou la livraison à domicile ont permis de sauver les meubles cette année-là, en se lançant parfois à la dernière minute dans le commerce en ligne, mais la reprise était tout de même attendue de pied ferme l'année suivante. Dopées par un effet de rattrapage, et probablement tirées par la fermeture des restaurants, les ventes de chocolat ont été au-delà des attentes en 2021. Après avoir plongé d'environ 30% en 2020, elles ont grimpé de près de 50% un an plus tard.

"C'était extraordinaire, la production n'arrivait même plus à suivre", se souvient le chocolatier Jacques Bockel. À la tête de la chocolaterie éponyme, il emploie une quarantaine de personnes en production dans sa fabrique de Monswiller, de l'autre côté de l'Alsace, où les moulages sont coulés et décorés à la main. "La fabrique a tourné jusqu'au samedi à 14 heures" pour pouvoir répondre à toutes les demandes des clients dans les boutiques qui vendent ses produits dans la région et en Lorraine voisine.
Pénurie d'emballages

Maintenant, les chocolatiers espéraient mettre fin à ce jeu des montagnes russes. Il faudrait attendre encore un peu avant de retrouver un rythme normal: ce sont désormais avec les hausses de coûts qu'il faut composer. Si le cacao est relativement épargné par les soubresauts, ce n'est pas le cas du beurre, du sucre, du lait, de l'huile, des noisettes, des fruits, dont les prix flambent depuis plusieurs mois en raison de la crise sanitaire, et encore plus depuis le début de la guerre en Ukraine pour certains.

Si rien ne manque, il faut parfois des semaines voire des mois pour se procurer certains ingrédients, du matériel ou des outils, et le coût du transport explose. À l'approche de Pâques, ce sont surtout les emballages qui inquiètent les professionnels. Dans le Val-de-Marne, à Vincennes, Julien Dechenaud a été contraint de repenser le conditionnement de ses chocolats. L'artisan, qui devait auparavant produire en partie ses emballages en Asie, a rapatrié toute la fabrication en France et en Italie.

"Cela coûte plus cher à l'achat, mais moins cher au transport", explique le chocolatier francilien. "Nous avons aussi retravaillé le packaging, pour qu'il soit plus simple" et puisse être réalisé mécaniquement. "Sur nos sacs, des poignées en carton vont remplacer les cordelettes. Personne en France ne voulait nous faire des sacs avec des cordelettes, car il faut les mettre à la main", note-t-il.

Pour tous, il a fallu faire preuve d'anticipation, signer les contrats bien en amont. La production des chocolats de Pâques démarre dès le mois de janvier pour les plus précoces, juste après le rush de Noël. Si les volumes sont similaires voire même plus importants à Noël, Pâques demande beaucoup plus de temps de travail, car ce sont surtout des moulages qui sont vendus. Or la chocolaterie, elle, n'échappe pas à ce qui pénalise un grand nombre de filières: le manque de main d'œuvre.
Une petite hausse des prix

Sans aucun doute, c'est même le problème n°1, devant toutes les difficultés conjoncturelles. Les candidatures se font rares, surtout dans les métiers de la vente ou de la gestion. Le chocolatier parisien Jean-Paul Hévin le confirme, il peine à trouver les bonnes personnes pour son laboratoire de Bois-Colombes, dans les Hauts-de-Seine. "Parfois, tout le monde est obligé de mettre la main à la pâte" pour préparer les expéditions vers le Japon, où il possède une douzaine de boutiques, raconte-t-il.

Il ne faudrait pas s'inquiéter non plus: il y aura tout ce qu'il faut. Les vitrines se remplissent, et les plus grandes entreprises ont déjà livré depuis longtemps leurs stocks à la grande distribution. La licorne, le best-seller d'Abtey, sera en bonne place dans tous les magasins. D'autant qu'il n'y a pas "d'inquiétude aigüe à avoir pour le chocolat au sujet de la guerre en Ukraine", veut rassurer Gilles Rouvière, à la tête du Syndicat du chocolat, qui rassemble une soixantaine d'entreprises et de réseaux de boutiques.

Pour ne pas rogner leurs marges à l'excès, tous ont rehaussé leurs prix. Mais les inquiétudes au sujet du pouvoir d'achat ne semblent pas très loin: les clients se pressent dans les boutiques, mais il y a un parfum de plus petit budget qui flotte dans l'air, remarquent certains chocolatiers. Le panier moyen n'est pas forcément moins important, mais les achats sont différents: les produits à moins de 20 euros se vendent beaucoup mieux que d'habitude, contrairement à ceux à plusieurs dizaines d'euros.

De toute façon, "c'est toujours comme cela lors des années d'élection présidentielle", dont la date tombe généralement en même temps que Pâques, assure Jacques Bockel, philosophe. "Ça joue sur le moral et les achats", s'est aperçu l'artisan alsacien après avoir passé 35 ans à la tête de sa chocolaterie. Artisans comme plus grandes entreprises s'attendent tout de même à réaliser une belle saison.

Source : BFM TV (https://www.bfmtv.com/economie/consommation/avant-paques-les-chocolatiers-s-adaptent-tant-bien-que-mal-a-la-hausse-des-couts_AV-202204130027.html)